C’est l’un des plus beaux mots de la langue française, comme des autres langues d’ailleurs. Wir, kami, nós, nosotros, nous. L’un des plus beaux mais aussi l’un des plus problématiques.
Simple ensemble de je? Entité réelle, clairement circonscrite? Si oui, par rapport à quoi? À quel vous?
Voyons ce qu’en dit Le Robert, déjà. «NOUS: Pronom personnel de la première personne du pluriel. Représente la personne qui parle et une ou plusieurs autres, ou un groupe auquel celui qui parle appartient.»
Okay. Mais à partir de quand les je additionnés composent-ils davantage, une entité nouvelle? À l’heure où le je québécois paraît se rebiffer de moins en moins à l’idée de composer un nous, un groupe auquel celui qui parle appartient, la question mérite d’être posée. Voilà d’ailleurs ce que feront, samedi qui vient et 12 heures durant, quelque 70 citoyennes et citoyens réunis au Monument-National.
Intitulée NOUS?, point d’interrogation compris, cette activité de réflexion se veut un prolongement du Moulin à paroles, qui avait réuni artistes, politiciens et public intéressé à son histoire sur les plaines d’Abraham, en septembre 2009. À l’invitation de Brigitte Haentjens, Pierre-Laval Pineault, Sébastien Ricard et quelques autres, les participants y livreront un texte de leur cru. Attention, la lecture n’aura rien d’un congrès de parti politique, on n’y déballera pas une série de propositions pour le Québec de demain. On y témoignera, de façon personnelle, de ce que peuvent signifier, ici, en 2012, des termes tels collectivité, démocratie, révolution.
On tentera de définir un peu notre nous, et ses trajectoires possibles.
/
«Comment rendre visible, opérante, la liberté qui nous caractérise et qui nous échappe en même temps? La révéler?» Voilà l’une des pistes sur lesquelles ont été lancés les participants. Une question ouverte, comme on dit à l’école. Très ouverte.
J’ai demandé à mon amie Catherine Lalonde, qui montera sur les planches samedi, comment elle abordait l’exercice. «Avec les manifestations et les grèves étudiantes, me dit-elle, ce projet résonne tout particulièrement. Il y a eu des combats menés par ma génération, quand j’étais étudiante, mais peu. En tout cas, moi je me suis peu levée. Je me suis engagée dans les idées, par l’écrit, mais physiquement, non. Aujourd’hui, je suis plus informée et plus engagée que jamais à l’intérieur, mais j’ai au quotidien un rôle de journaliste [Catherine écrit au Devoir] qui impose une certaine réserve. Je suis heureuse d’avoir cette tribune, de pouvoir dire un texte non édité, de pouvoir prendre parole en toute liberté.»
Ce texte est triste, m’annonce-t-elle. Plutôt le récit d’une chute. Il faut d’ailleurs s’attendre à tout, à une soirée de tous les risques, faite de récits intimistes autant que de montées de sève indépendantistes. Les organisateurs ont lu les textes, mais n’ont pas voulu brider les interventions. Dans tous les cas, et c’est ce qui branche Catherine, il y aura présence physique au monde. «Encore une fois, il y a dans cette aventure l’idée de m’engager avec mon corps, ma voix, et pas seulement dans l’idée, l’idéation. J’espère que mon texte aura une résonance dans l’esprit, mais aussi le corps des autres.»
Espérons avec elle. Espérons du même souffle que la rencontre aidera à donner une direction aux électrons libres de la grogne actuelle. Pour que l’énergie contestataire ne soit pas qu’une tendance, une mode bientôt récupérée comme la gueule du Che sur un t-shirt.
Pour que les concepteurs de NOUS? aient eu raison de s’inspirer de Miron, dans leur invitation, et de dire: «Nous sommes arrivés à ce qui commence.»
NOUS?
Le 7 avril de midi à minuit, au Monument-National
Entrée libre
« Nous? » J’apprécie le point d’interrogation, ce retour à la source qui fait tout la différence entre le Nous. point ou poing sur la table.
N’empêche que ça me ramène à un autre « Nous », ce magazine québécois fondé par René Homier-Roy en 1973. Je l’aimais beaucoup ce magazine et je regrette d’avoir jeté tous mes exemplaires. J’adorais les chroniques de ce blanc-bec nommé Pierre Bourgeault.