Mots croisés

La colonne des pertes

«J’en ai assez. Rien n’arrive ici», dit la Bérénice de Réjean Ducharme dans l’un des dialogues marquants de L’avalée des avalés. Si elle voyait le Québec d’aujourd’hui, elle tiendrait sans doute un autre discours. «Tout arrive ici. Trop arrive ici!» Ou quelque chose du genre.

Il y a eu ce cri spectaculaire lancé par la population le 22 avril, Jour de la Terre, ce cri toujours là, au fond de notre gorge, que ne viendront pas calmer les conclusions du commissaire à l’environnement du Canada selon lequel notre gouvernement fédéral se préoccupe de réduire les émissions de gaz à effet de serre autant que de cultiver la transparence parlementaire.

Il y a évidemment la lutte menée par les étudiants, increvables étudiants qui ont tôt vu dans la facture collée sous leur nez un enjeu plus large que celui des droits de scolarité. Large comme un enjeu de société.

Il y a des dizaines de ras-le-bol connexes, qui se jettent dans le courant comme le ruisseau se jette dans la rivière. Au risque d’en brouiller les eaux. Ce qui fait l’affaire de certains, l’amalgame ayant souvent pour résultat la cacophonie, mais aussi les railleries de ceux, nombreux, qui dans une collectivité préfèrent regarder le spectacle assis qu’y participer debout.

Ce Québec en quête de nouveaux repères n’est pas toujours chic, chic. Il a quelque chose d’un gros bouvier qui s’ébroue après une sieste trop longue, au grand dam des puces qui le considéraient comme un territoire conquis. Mais il a quelque chose de terriblement vivant, qui nous invite à formuler un souhait: que ce Québec, au terme d’un printemps fou, reste en mouvement. Et se souvienne, puisque telle est sa devise, que rien n’est jamais acquis.

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Permettez-moi de revenir un peu sur les annonces faites par Communications Voir la semaine dernière. Tant d’autres en ont parlé, parfois en assortissant leurs commentaires d’hypothèses farfelues, la moindre des choses est que nous donnions l’heure juste.

La direction des hebdomadaires Voir a dû se résoudre, le cœur gros, à retrancher certaines éditions de son réseau, là où les marchés publicitaires ne suffisaient tout simplement plus à supporter les coûts importants engendrés par un tel journal, aussi «gratuit» fût-il.

Voir Saguenay, Voir Mauricie, de même que Hour Community, n’atterriront plus dans les présentoirs le jeudi matin et ne vont subsister que dans un format électronique.

Je donne d’abord un coup de chapeau à mes collègues directement touchés, Karine, Marjolaine, Joël, Kevin, qui ont animé ces journaux avec passion et talent, et dont les compétences ne sont évidemment pas remises en question. Les imprimés traversent une crise, partout dans le monde, le développement d’Internet en est l’un des facteurs mais pas le seul, et certaines branches de notre réseau n’en seront pas sorties indemnes.

Il convient cependant de faire taire les rumeurs: en 25 ans, Voir a plongé loin ses racines dans le paysage culturel d’ici. L’arbre demeure solide, comme en témoigne la plus récente enquête PMB (vous êtes 419 000 à nous lire chaque semaine), sans compter notre présence applaudie dans les sphères du Web et du petit écran.

Ce qui n’a rien de farfelu, par contre, c’est le réel défi que représente la production d’un hebdo que vous pouvez vous procurer à tous les coins de rue, sans sortir un sou de votre poche. Hebdo gratuit ne veut pas dire œuvre philanthropique; Voir repose aussi, bien entendu, sur une mécanique d’affaires.

Voir est là pour rester, sous toutes ses formes, pour peu que ceux qui sont attachés à cette voix critique, libre et indépendante, continuent d’y tendre l’oreille.