Ces derniers jours, quelques personnes m’ont communiqué leur malaise devant ce carré rouge épinglé, depuis maintenant dix semaines, sur notre page couverture. Argument principal: Voir outrepasse sa «mission» en appuyant aussi clairement les grévistes et devrait faire preuve d’une certaine neutralité. Il en va de son «sens des responsabilités».
«Je n’ai jamais vu un journal se voulant sérieux et crédible exposer aussi crûment sa position dans un conflit aussi incendiaire», m’a même écrit l’un d’eux, hier matin.
Je dois dire que j’éprouve en retour, moi aussi, un malaise. Chacun a évidemment droit à son point de vue. Chacun peut déplorer les excès d’un camp comme de l’autre dans ce débat plus complexe qu’il n’en avait l’air au départ. Mais je ne peux pas m’empêcher de voir dans cette exigence de neutralité le symptôme de quelque chose d’assez grave, qui en dit sans doute long sur l’état actuel de notre société. À force de redouter les excès, les gestes qui font des vagues, on tolère ce qui a clairement dégradé cette société depuis quelques décennies: le syndrome de l’autruche.
Plus grave, on demande à la presse écrite de cesser de jouer l’un de ses rôles les plus importants. De tout temps, la presse digne de ce nom, celle qui va au-delà du compte rendu ou de la complaisance, a été activement engagée dans les débats de son époque. De l’affaire Dreyfus, à la fin du 19e siècle, aux positions très affichées de magazines comme Le Nouvel Observateur ou Les Inrocks dans la récente campagne présidentielle hexagonale, la presse écrite a contribué à ce que ses contemporains aient le moins possible la tête enfoncée dans le sable.
Ce carré rouge, nous n’imposons pas à nos lecteurs de l’épingler à leur tour, mais il indique à ces derniers que la rédaction a choisi son camp, et qu’ils trouveront ici un certain argumentaire. Les sources relayant le propos du camp adverse ne manquent pas, tout le monde sera d’accord. Quant à notre «mission», nous la concevons comme un soutien à la création d’ici, comme une invitation à ouvrir les yeux sur nos richesses écrites, chantées, dansées… Ce qui nous semble toucher de près aux notions d’éducation et de savoir. Alors permettez qu’on se mêle un peu de ce qui nous regarde.
Une grande majorité de nos lecteurs a applaudi que nous affichions aussi clairement nos couleurs. Nous les remercions de leur ouverture. Évidemment, nous étions loin de penser que le conflit allait être géré de manière aussi erratique. Je n’aurais jamais cru devoir dire aussi souvent à notre directeur artistique: «Oui, oui, on le met cette semaine encore…» Nous souhaitons très fort une résolution du conflit, dans les meilleurs délais, mais nous souhaitons avant tout que les protestations étudiantes soient entendues et qu’en résulte un réel assouplissement gouvernemental, pas que des demi-mesures aux allures de peanuts lancées à des animaux.
Nous soutiendrons jusqu’au bout le mouvement étudiant.
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J’ai assisté lundi dernier à la première de Laurence Anyways, le nouveau film de Xavier Dolan. Puisqu’il y a toujours, au moment de mettre sous presse, un très vigoureux embargo interdisant la circulation du moindre commentaire critique – entente de confidentialité, directives quasi policières; les gens d’Alliance auraient-ils fait un stage à la Stasi? –, je ne me risquerai pas à vous dire ce que j’en ai pensé.
Je me permets toutefois de partager avec vous une idée qui m’a saisi alors que je croquais dans un petit four au très jet set party qui a suivi (oui, la vie me contraint parfois aux mondanités). Laurence Anyways, malgré tout le battage médiatique qui l’entoure et les Moyens avec un M majuscule déployés pour le mettre en marché, est tout sauf ce qu’on appelle communément un film grand public. Il aura sans doute un large public, évidemment, battage oblige. Mais cette histoire de transgenre où pendant 2h40 des couples s’entredéchirent en gros plan a tout pour en faire fuir plusieurs.
On peut reprocher mille choses au très business milieu du 7e art, mais on doit aussi se réjouir de voir la grosse machine tourner à plein régime pour autre chose que L’appât ou autre navet bien de chez nous. Je ne vois pas d’équivalent aussi clair dans le domaine de la musique, par exemple. Attention, je ne parle pas de récupération, mais bien de rampe de lancement pour un projet on ne peut plus typé.
Affaire de Moyens, vous me direz. Mais ne boudons pas notre fierté quand se déploie, au Québec, une rampe de lancement aussi spectaculaire pour un film aussi… (Ouille c’est vrai, motus.)
Jamais je ne vous ai demandé d’être neutre. Où êtes-vous allé chercher ça? Relisez, nos journaux , vous verrez des prises de position diverses, de Foglia, à Ouimet en passant par Martineau, Duhaime, de Facal à Bock-Côté et ainsi de suite.
Moi, un homme de gauche, pour la première fois depuis des décennies, j’ai dû aller chercher la diversité de pensée dans des sources idéologiquesa qui me déplaîsent profondément. Qui sont aux antipodes de ma pensée.J’en ai ressenti une honte dont vous êtes le responsable, au fond.
Me faites pas rire monsieur Malavoy-Racine. Votre carré rouge, vous nous l’avez grossièrement lancé dans la face. C’était un avis de refus de penser AUTREMENT. Un rouge foncé forcé. Car les mots pour dire votre opposition à la hausse, les mots auraient largement suffi. Vous n’avez pas voulu nous les dire, les mots contraires , nous laissant faire la job à votre place, nous les figurants…ou alors vous êtes allé réquisitionner ceux des poètes, comme Miron dans votre Collectif d’auteurs grotesque.
Y’a de quoi vous sentir mal à l’aise, en effet. Et cette souillure sera difficile à effacer…
Désolé de vous décevoir, mais ce n’est pas à vous spécifiquement que je répondais, pas plus que ce n’est vous qui êtes cité ici. Je ne répondrai pas au reste de votre message, un festival de confusion, de raccourcis et de préjugés.
Je vois un journal comme un individu, une entité libre qui peut afficher sa couleur. D’ailleurs, si les journaux l’affichaient plus clairement, les échanges seraient plus francs, donc plus transparents. Outrepasser cette liberté serait en muselant les personnes qui ne sont pas de cette couleur, ce qui n’est pas du tout le cas ici au Voir.
Ça exige du courage de s’afficher, quelque couleur que ce soit, car une fois affichée, tous ceux qui ne sont pas de cette couleur viennent carrément, et même brutalement, exprimer leur opposition. Avec la mission du Voir ; s’ouvrir aux lecteurs, échanger, et donner des tribunes à tous (qu’il y ait moins de silence dans la masse), qu’il se prononce sur un sujet au coeur de notre actualité, va tout à fait dans le sens de sa mission.
Il me semble que Voir peut se permettre cette prise de position « graphique » justement parce qu’il n’est pas un journal qui couvre la crise actuelle comme le font les quotidiens généralistes. La Presse, dont la ligne éditoriale ne laisse pas de doute, ne pourrait pas afficher graphiquement ses couleurs parce qu’elle se doit de laisser une marge de manoeuvre à ses chroniqueurs ainsi qu’un espace de neutralité à sa couverture quotidienne (hors des pages éditoriales). Voir n’a pas ce problème n’étant pas appelé à couvrir directement l’événement dans son mandat.
Par contre, on pourrait effectivement imaginer qu’un chroniqueur qui n’adhérerait pas (votre Denise Bombardier, admettons) se sentirait heurté par un tel choix et déciderait de quitter le bateau. Doit-on absolument représenter tous les points de vue dans un journal? Certains estiment que les chroniqueurs qui s’opposent de la ligne éditoriale (Barbe au JdM ou Bombardier au Devoir) ne servent en fait que de caution.
Ce n’est pas, disons, un débat simple…
Très bon résumé de la problématique, Catherine. Dans ce cas-ci, la position affichée du journal, comme entité, est évidemment le fruit de discussions à l’interne. Il se trouve que tous les membres de notre rédaction appuient la décision d’épingler le carré rouge en une, ce dont j’ai informé la direction avant de procéder. Sans une telle unanimité, nous ne serions pas allés jusque-là.
Devant votre carré rouge aveugle, monsieur Malavoy-Racine, je n’ai d’autre choix que de vous répondre en me nommant personnellement.
Et puisque vous prétendez ne pas vouloir commenter mon propos, abstenez-vous donc à l’avenir de le faire quand même par jugements de valeur interposés…
Ah le merveilleux monde du pseudo… Il n’en reste pas moins que mon billet ne répondait pas qu’à vous. Il n’en reste pas moins non plus que votre message, à travers quelques autres, invitait la rédaction de Voir, comme entité, à ne pas se mouiller. C’est précisément à ça que je réponds.
Je me permets une citation, laquelle, très sincèrement, ne vise personne. Elle est plus ludique et pataphysicienne que vraiment méchante. Le méchant auteur: Georges Wolinski. Il a «sévi» pendant plusieurs décennies dans les revues françaises «bêtes et méchantes», comme HARAKIRI.
*****«Si les salauds ne se dévouaient pas pour faire des journaux pour les imbéciles, je me demande ce que les imbéciles liraient.»*****
Cela étant dit, je souligne que toute publication (journal, revue, magazine, etc.) a la liberté éditoriale de faire connaître ses prises de positions. C’est plus honnête que l’apparente neutralité.
JSB, sociologue des médias
Devant la mauvaise foi évidente des Power Corporation et l’empire Québécor . Le journal Voir et Le devoir sont les deux seuls média que je juge crédibles .Merci de ne pas abandonner notre jeunesse et de montrer votre indépendance
Et vos sources , monsieur Malavoy-Racine, c’est pas fameux. Les INROCKS, parlons-en. Le rock and roll est aussi naturellement français que le menuet dans Harlem!
Et LE NOUVEL OBS ??
Ils sont où, les Jean Daniel dans VOIR?
Je suis de gauche, contre la peine de mort, pour l’indépendance du Québec, pour le mariage entre gens du même sexe.Et surtout pour la liberté de pensée.
Et allez donc, monsieur Malavoy-Racine, à force de répéter en éditorial que je suis confus, les lecteurs de VOIR finiront bien par vous croire. Moi ça me fait un p’tit v’lours, imaginez-vous donc!
Le résultat s’affiche déjà ici, avec un prénommé superfétatoire très porté sur les citations des autres .Je lui préfère le pseudo impoli qui me tutoie…
Mon idée claire, c’est que VOIR s’enfonce, s’enlise, s’enrage à tort et à travers…
Je suis plus qu’admiratif de cette prise de position. Bravo! Vous n’êtes pas frileux, comme trop de gens dans notre société présentement. Et surtout, vous ne chercher pas à forger l’opinion publique. Merci
Répondre à Jean-Claude Bourbonnais, c’est peine perdue. Le dogmatisme benêt est toujours une insulte à la pensée et à la réflexion.
JSB
Le carré rouge, il est tout en l’honneur du Voir!
Qu’il y ait unanimité parmi votre petite équipe en faveur des revendications étudiantes, tant mieux;
c’est un heureux contrepoids à la mauvaise foi, à la bêtise ou à l’ignorance d’une bonne partie des détracteurs de ce salutaire mouvement social.
Eh oui! Vous avez raison à mon humble avis, Réal Bergeron.
JSB
MERCI à vous et au VOIR. En cette période où chialer et revendiquer sont deux actions constamment confondues et où on mêle sans discernement manifestation, désobéissance civile, violence et terrorisme, ça fait un bien énorme de voir un journal s’assumer et afficher clairement ses couleurs, sans tomber dans une neutralité sans saveur ni s’embourber dans une sémantique paralysante. Tant pis pour ceux que ça choque. Moi, ça me fait plaisir!
Je préfère que Voir affiche le Carré Rouge que ces publicités de American Appareal qui sont pour moi beaucoup plus grotesques que le Carré Rouge! Entre l’exploitation des jeunes et la gratuité scolaire franchement je préfère de loin la gratuité scolaire, non?
J’ai écouté CHOI FM Radio X hier pendant environ une heure (j’écoute jamais ça, mais j’étais juste curieux de voir ce qu’ils allaient dire sur le conflit actuel), et bref j’en revenais pas d’entendre à quel point l’extrême droite est dominante. Donc bref si on veut balançer les choses tant qu’à moi c’est ben correct que Voir prennent la gauche!!! Et puis honnêtement je trouve que vos propos sont pas mal plus modérés que ceux des animateurs de radio-poubelle!
Et nous saluons votre initiative courageuse. Merci M.Malavoy.
rien de plus débile qu’un poisson rouge qui nage en rond dans son aquarium carré!
Depuis quand on ne peut plus afficher ses couleurs? Depuis le « vendredi noir » (18 mai 2012!!!!)? Bravo à Voir!!!