Mots croisés

Politique-friction

21 juin 2012. La situation ne cesse de se détériorer. Qui aurait cru, il y a 130 jours, que le conflit étudiant allait à ce point ébranler la société québécoise? Qui aurait cru, le 13 février dernier, voir l’armée prendre bientôt le relais d’un SPVM débordé, dont une centaine d’agents exténués ont brandi en plein centre-ville, début juin, des matraques peintes en rouge, leur manière à eux de protester contre l’inapplicable loi 78?

Un nouveau stade a d’ailleurs été franchi hier après-midi, sans jeu de mots, quand le Stade olympique a été réquisitionné par les forces armées pour incarcérer les dizaines de milliers de personnes désormais reconnues coupables d’infractions aggravées en regard de ladite loi. «On sait pus où les mettre», a résumé un soldat invité à l’émission Franchement Martineau.

Quant aux sessions collégiales et universitaires, la nouvelle est maintenant confirmée: à compter de lundi prochain, tous les cours auront lieu à la base militaire Valcartier, récemment aménagée en conséquence. L’annonce en a été faite par le ministre de l’Éducation Sam Hamad, qui comme on le sait a succédé à Robert Dutil, lequel avait brièvement cumulé les ministères de la Sécurité publique et de l’Éducation après que Michelle Courchesne eut choisi, comme sa prédécesseure, de partir vivre en Afrique.

Le quatrième ministre de l’Éducation en moins de deux mois s’applique à minimiser la crise, qui s’est pourtant étendue à toutes les sphères de la société. Rappelant les résultats d’un récent sondage CROP-La Presse, selon lequel une majorité de Québécois préfèrent boire un cooler à la cerise au bord d’une piscine plutôt que de manifester devant un char d’assaut, le ministre a enjoint à ses concitoyens de profiter de l’été sans trop s’en faire puisque, dit-il, «si une route est ouverte au Québec, c’est qu’elle est sécuritaire».

Par ailleurs, les avocats de l’écurie de formule 1 Ferrari devraient s’adresser aux médias aujourd’hui. Rappelons que les mécanos de la Scuderia ont eu la surprise de recevoir des contraventions salées alors qu’ils s’affairaient dans les paddocks, durant le récent Grand Prix du Canada. Autant de vêtements rouges auraient inquiété les autorités, qui y ont vu une manifestation non autorisée de soutien aux étudiants.

Dans l’échauffourée qui a suivi, Fernando Alonso a roulé sur le pied d’un représentant de l’ordre, incident dont Jean Charest a aussitôt dit qu’il illustrait parfaitement le climat de violence «contagieux» qui règne actuellement au Québec.

Parlant de lui, le premier ministre aurait reçu plus tôt cette semaine un mot de Bachar el-Assad, le président syrien. Dans sa missive, ce dernier aurait qualifié les récentes décisions du gouvernement québécois de «timides mais prometteuses» en matière de répression civile.

Si l’information n’est pas confirmée, elle n’en circule pas moins à vitesse grand V dans les réseaux sociaux, ce qui, à quelques jours de la Saint-Jean, fait craindre le pire. Les Québécois ont le cœur à la contestation plus qu’à la fête, cette année.

Selon Niklas Mok, un des très nombreux journalistes étrangers venus témoigner de l’événement, ils n’en ont pas pour autant perdu le sens de l’humour. Mok écrivait en effet dans le quotidien munichois Süddeutsche Zeitung, samedi dernier, être fasciné d’entendre se succéder, dans les propos des gens qu’il croise ici, grosses blagues et invectives musclées. «Au pays du Festival Juste pour rire, note-t-il, on a décidé qu’il valait mieux en rire que d’en pleurer.»