«Le temps passe vite.» Voilà ce qu’on dit, à cœur de jour, en croisant cet ancien ami jamais revu depuis l’école primaire. En voyant paraître l’édition 20e anniversaire du film qui a marqué notre adolescence. En constatant que notre enfant ne rentre plus dans son pantalon acheté il n’y a même pas… ah ben oui, six mois déjà.
Voilà aussi ce que je me suis dit, lundi dernier, en annonçant sur les réseaux sociaux qu’après deux années et demie à la barre de cet hebdo (et neuf ans au sein de sa rédaction, top chrono), je comptais prendre le large. C’est hier matin, il me semble, que je m’assoyais dans la chaise de celui qu’on appelait alors le chef de pupitre arts & livres. C’est hier après-midi que l’éditeur Pierre Paquet me confiait la direction de la rédaction.
Le temps passe vite, on est d’accord, mais quand on arrête un peu notre course pour le remonter, on voit bien que l’affaire n’est pas si simple. Deux ans et demi, c’est à la fois peu et beaucoup. À lire la rafale de commentaires qui a suivi mon annonce – et dont vous ne pouvez pas imaginer à quel point ils m’ont touché – , il faut croire qu’on a réussi quelques bons coups. Que ces trente mois nous ont permis, au fond, de faire pas mal de choses.
Je quitte heureux d’avoir pu, à travers une page couverture, appuyer des artistes au bord du succès, de Catherine Vidal et son adaptation du Grand cahier d’Agota Kristof à la formation Avec pas d’casque, dont la chanson minimalo-poétique devrait nous accompagner longtemps.
Je quitte heureux, par-dessus tout, d’avoir contribué avec d’autres au rapprochement des espaces culturel et social. J’ai longtemps considéré la création québécoise comme vaguement autiste, évitant autant que possible les liens avec une réalité qui lui semblait artistiquement déshydratée. Je me réjouis de voir les artistes, depuis quelque chose comme deux ans, s’engager de nouveau, aiguillonner de leurs mots et de leurs gestes ceux qui dirigent le grand navire de la société québécoise. C’est justement quand la société semble le plus hermétique au rêve et aux arts que les créateurs doivent s’en préoccuper.
Je suis fier de ce numéro bilan, fin 2010, traitant de l’engagement des artistes et pour lequel j’avais interviewé, quelques mois avant sa mort, Gil Courtemanche.
Je suis fier de notre engagement dans la cause de l’alphabétisation, de notre action à l’occasion du Jour de la Terre, de notre récente une dédiée à Sophocle et à la signification du tragique au 21e siècle.
Si je devais ne retenir qu’une chose des dernières années, c’est la conviction désormais inébranlable que l’art est politique, même quand il croit ne pas l’être.
L’art est un lieu privilégié de transformation des êtres et du monde, puisse Voir continuer de l’aborder sous cet angle.
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Je l’ai déjà dit, je ne pars pas tout à fait. Je me replie sur mon territoire naturel, celui du livre. Je serai donc de la prochaine saison de Voir télé, avec mes suggestions de lectures. Ce n’est pas non plus la fin pour la chronique Mots croisés, qui connaîtra une légère mue et qu’on retrouvera en section livres dès la semaine prochaine, toujours ouverte aux bruits de la société, mais plus que jamais en lien avec l’actualité littéraire. Vous m’y suivrez, j’espère.
Et puis on me verra ailleurs, évidemment. J’ai quelques casseroles sur le feu, vous le savez sans doute, et la direction d’un journal, surtout en ces temps de turbulences médiatiques, exige un dévouement complet.
Accolade à mes collègues de la salle de rédac Manon, Kathy, Elsa, Olivier, Mélissa et Gwenaëlle. À Constance, notre correctrice «en titre», au directeur artistique Luc Deschambeault, à qui vous devez chaque jeudi la signature graphique de la une, au graphiste «en chef» René Despars, qui a supporté ma révision un peu maniaque des épreuves, à mes amis du département Web, aux photographes Marianne Larochelle, Jocelyn Michel, Stéphane Najman, John Londoño et à tous les autres…
Grand coup de chapeau à Josée Legault, qui signait récemment ici la dernière d’une longue série de chroniques agissant comme un phare dans les dédales de la politique actuelle.
Quant à Simon Jodoin, mon successeur, je lui souhaite la meilleure des chances. À lui de jouer maintenant, et de démontrer qu’il peut être non seulement un théologien médiatique et un omnipraticien 2.0 des plus allumés, mais aussi le garant des plus hautes exigences en matière de journalisme culturel.
Hasta la vista!
Et que oui, le temps passe vite et qu’il s’en passe des choses durant cet espace temps qui passe si vite, mon cher Tristan. Les derniers mois furent exigeants, j’en conviens, et le degré d’engagement à la même hauteur.
Merci pour ce bout de chemin comme capitaine et timonier de Voir.
Il me fera plaisir et je ne serai certainement pas le seul à te suivre sur ton territoire naturel, ainsi que de t’apprécier sur scène lorsque tu trouveras le temps de nous proposer des spectacles alliant musique et poésie.
J’en profite pour te faire une demande spéciale. Tu pourrais faire une petite place aux recueils de poésie qui y gagneraient comme nous, d’une plus grande visibilité grâce à ta plume ou ton clavier.
Tristan,
Tes chroniques, je les ai lues avec un intérêt et un plaisir toujours renouvelés
Bonne chance pour l’avenir
merde pour l’avenir, Tristan. il m’a fait plaisir de faire ta connaissance entre deux pintes :)
Valerie
Moi de même Valérie… Bon vent à toi!
Merci de votre temps donné à Voir, pour nous lecteurs. Je savais le bateau entre les mains d’un capitaine à l’affut des valeurs et de la lettre à la bonne place.
J’essaie d’imaginer qu’est-ce que ça peut faire à une personne d’avoir posé un regard qui englobe le tout, et revenir au regard qui englobe une partie de ce tout. Ça va solliciter la capacité au détachement, je vous en souhaite une surdose, surtout au départ.
Par cette expérience, il me semble que votre regard ne sera jamais plus le même. Transformé. Rien ne se perd. Vous apportez cette intense expérience de « deux ans et demi », passés si vite (trop vite ?), avec vous. À partir de maintenant, tout ce qui a passé vite, trop vite, va se placer dans le temps, et donner du goût et du sens à tout ce que vous toucherez.
En autant que vous ne éclipsez pas hors de la vie littéraire, moi, je peux dormir tranquille.
Hors de la vie littéraire? Pas avant mon dernier souffle, chère Venise!
En effet, tout ce que je ferai dorénavant sera un peu modulé par mon expérience « à la barre », sous des vents pas toujours favorables, mais animé de cette conviction que les grands caps, beau temps ou mauvais temps, doivent demeurer les mêmes.
À tout de suite!
J’espère qu’il n’est pas trop tard, mais bonne route Tristan !
Que les défis grisants t’accompagnent.