Mots croisés

Culture physique

On imagine souvent l’écrivain le nez en l’air, absorbé par les choses de l’esprit, habité d’un léger dédain pour l’effort physique et le musculaire. Sur le terrain du préjugé, sport et littérature semblent bien éloignés. Le discours de 99% des joueurs de hockey n’invitant pas, il faut dire, à supposer des liens étroits entre les deux. Pourtant.

Pourtant, Hemingway enfilait les gants de boxe dès qu’il en avait l’occasion, Camus et Nabokov (le romancier, pas le gardien des Islanders) raffolaient du ballon rond, Jarry ne se séparait jamais de sa bicyclette. Plus près de nous, le jeune Gaston Miron était, paraît-il, le premier à sauter sur la patinoire quand le mercure passait sous zéro.

Pourquoi cet intérêt des lettrés pour la sueur, les souliers à crampons, les patins à glace? Parce qu’ils devinent tout ce qui, dans le sport, va au-delà du sport. Les notions de stratégie, de visualisation et de dépassement de soi, évidemment, mais aussi quelque chose de plus large, qui touche au spirituel. C’est sans doute ce qu’avait en tête l’écrivain français Jean Giraudoux quand il écrivait: «Le sport consiste à déléguer au corps quelques-unes des vertus les plus fortes de l’âme.»

Nous devons en tout cas au sport des bouquins délicieux. JC Lattès vient de faire paraître en traduction L’art du jeu, roman-phénomène dédié au baseball de Chad Harbach, auteur originaire du Wisconsin et cofondateur du magazine littéraire n+1. À travers l’évolution de l’arrêt-court Henry Skrimshander, Harbach rend un authentique hommage au jeu de balle – ses descriptions de matchs sont de petites œuvres en soi, malgré une traduction franchouillette qui nous éloigne un peu de l’action – , tout en montrant combien le terrain en forme de diamant peut polariser l’essentiel de l’activité humaine: ambitions, rivalités, amitiés intéressées, folie du fric.

Inspiré par son idole Aparicio Rodriguez, légendaire arrêt-court des Cards de Saint-Louis, Henry va peu à peu élever ses aptitudes et sa grâce naturelle au niveau de grand art, faisant dire à tous les observateurs qu’il est capable de prescience, en d’autres mots de deviner où la balle va tomber avant qu’elle ne soit frappée.

Ce Rodriguez est d’ailleurs l’auteur d’un manuel, intitulé lui-même L’art du jeu, dont Henry fait, plus qu’un livre de chevet, une véritable bible. Il faut dire qu’il y trouve des préceptes du genre: «Il existe trois états fondamentaux: avoir l’esprit vide, penser, revenir au vide.»

Grâce, prescience, états fondamentaux. Décidément, le sport ne se limite pas aux techniques de lancer ou aux jeux de pieds. Quand la littérature s’en mêle, en plus, la religion n’est pas loin!

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Dans un roman paru ce printemps, Claude Dionne explore, lui, la confusion entre foi dans le Très-Haut et foi dans une équipe sportive. Plus précisément la confusion toute québécoise entre la sainte Église et la Sainte Flanelle, entre le bon Dieu et les dieux d’aréna.

Dans Sainte Flanelle, gagnez pour nous!, il raconte le parcours d’un Montréalais que sa famille voulait voir marcher sur les voies du Seigneur, mais qui au fond de lui n’a jamais cru qu’à une seule forme de miracles: ceux qu’accomplissent les héros du Tricolore… Chaque fois que sa vie bascule – quand son père meurt, quand il apprend qu’il est un enfant adopté – , c’est vers eux qu’il se tourne.

L’écriture a ce quelque chose d’un peu trop appliqué du prof qui veut bien faire (Dionne a enseigné le français pendant trente ans), mais l’auteur est parvenu à capter une part de l’âme québécoise, faisant revivre une époque à laquelle on peut reprocher plein de choses, entre autres que le clergé y avait le nez fourré partout, mais où la coupe Stanley, ô nostalgie, passait de temps à autre par Montréal.

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Une dernière suggestion: Le goût du vélo, plaquette belle à croquer qui rassemble les plus belles pages écrites sur le sujet par des écrivains d’hier et d’aujourd’hui. On peut y lire Émile Zola et sa théorie sur «l’émancipation de la femme par la bicyclette», Jules Romain, Alfred Jarry bien sûr, mais aussi Claire Morissette, cette Montréalaise disparue en 2007 à qui l’on doit, pour beaucoup, le développement de nos pistes cyclables.

Elle nous rappelle un temps pas tout à fait révolu où nos rues étaient synonymes, pour le cycliste, de sport extrême. «Vigilance. Instinct de survie. Pas d’erreur ou mourir», résume-t-elle.

L’art du jeu
Chad Harbach
VLB éditeur