Mots croisés

28 fois oui et autres doigts d’humeur

C’est sans doute l’effet le plus sournois d’une campagne électorale en plein été: on s’adresse à nous comme si notre cerveau était en vacances. Discours de niveau préscolaire, slogans creux comme des ballons de plage, promesses tendues comme des cornets de crème glacée…

Pour trouver un peu de substance politique, mieux vaut se tourner vers les rayons des librairies. Cette semaine, deux titres viennent intellectualiser un brin le mois d’août: le collectif Notre indépendance: 28 Québécois s’expriment et Le mal du pays, qui rassemble une soixantaine des chroniques publiées par Lise Payette, depuis 2007, dans les pages du Devoir.

(Nous ne sommes pas devant des apologies du modèle canadien, vous l’aurez compris. De telles apologies, l’occasion est belle de le souligner, prennent d’ailleurs moins souvent la forme de livres que de déclarations éventées, non? À moins qu’on ne m’envoie pas ces livres-là en service de presse?)

Notre indépendance, donc, dédié à «tous les Québécois, mais surtout à ceux qui hésitent», prend tour à tour la forme du témoignage, du texte humoristique ou du slam pour dire le pays espéré ici et maintenant, sans trop de regards en arrière. La jeune avocate Catherine Fillion-Lauzière, qui a eu l’idée de ce livre, dit avoir lancé ses invitations à partir du printemps 2011. «Au lendemain de la cuisante défaite du Bloc québécois aux dernières élections, écrit-elle dans son avant-propos, je me suis demandé ce qu’il restait de l’idée d’un pays du Québec.»

Les derniers mois ayant été ce qu’ils ont été, le bouillonnement social du printemps érable ayant éveillé les consciences jusque dans la sphère identitaire, le résultat est sans doute plus optimiste que ce qu’elle entrevoyait au départ. Rien de pleurnichard ici, aucune trace de souverainistes de taverne pour qui c’était en 95 ou jamais. De Jean-Martin Aussant à Geneviève Rochette, en passant par Emmanuel Bilodeau, Maka Kotto ou Maria Mourani, les collaborateurs font parler le cœur mais aussi la tête, lucides dans le bon sens du terme. Surtout, ils n’ont pas renoncé.

Si certains textes ont quelque chose de scolaire, un petit côté «dissertation sur le thème de la souveraineté», plusieurs font mouche. Celui de Pierre Curzi par exemple, décidément plus convaincant dans ce type d’exercice que sur les banquettes de l’Assemblée nationale. Le comédien et bientôt ex-député signe quelques pages inspirées, où la raison environnementale, et même économique, ne fait pas l’économie de la poésie: «Nous sommes un court instant de l’histoire qui revendique sa juste part de lumière.»

Mention à Catherine Dorion, performeuse et actuelle candidate d’Option nationale dans Taschereau (oui oui, celle dont la vidéo de présentation fait fureur sur YouTube). Son texte faussement désabusé («bah / nous ne serons pas les premiers à démissionner / nous ne serons pas les premiers à décider de ne pas faire d’histoires») dépeint des Québécois pas si malheureux, au fond («aux Galeries de la Capitale je vois des gens rire»), sauf quand on pointe leur «lieu collectif». Riche contribution, qui mine de rien met le doigt exactement où ça fait mal.

Mention aussi à Yann Perreau qui, on aime ça, se fout un peu de la gueule d’Alain Dubuc. En récupérant un bout d’une chronique de janvier 2009, où l’éditorialiste de La Presse s’émeut de l’investiture de Barack Obama et dit combien il y a «une puissante énergie dans le rêve d’un peuple, une force créatrice qui peut mener loin si on réussit à la canaliser», il soulève tout le problème de ceux qui reconnaissent aux «Amaricains» et aux autres le droit de s’émanciper mais ont du mal à appliquer le concept à leur coin du monde.

Bien sûr, les rabat-joie habituels verront dans ce collectif un appel dérisoire, lyrique à outrance. Or, le Québec a sans doute besoin d’un certain lyrisme bien plus que du cynisme ambiant, qui est à notre vie politique ce que la tordeuse de l’épinette est à nos forêts.

Surtout, cet essai à plusieurs mains dit haut et fort que l’idée d’indépendance n’est pas une pinte de lait avec une date de péremption, mais peut s’accorder au présent, et peut-être plus encore au futur.

Appelez-la Lise

En refermant Le mal du pays, bouquet de chroniques signées Lise Payette, on se dit qu’il y a deux familles de chroniqueurs: ceux qui surfent au jour le jour sur les petites chicanes et dont les mots sont d’abord de l’huile jetée sur le feu, et ceux, moins souvent sous les projecteurs, qui parviennent à maintenir un fil, des convictions, d’année en année, et ne confondent pas le mordant et le show de boucane.

Les premiers, rien ne sert de publier leurs diatribes sous forme de recueil, longtemps après. Il n’en reste pas grand-chose. Les seconds, ça vaut le coup, surtout si l’éditeur, comme c’est le cas ici, fait un vrai travail de découpage.

Crise des médias, conflits entre le Québec et le ROC, petites et grandes contradictions de notre classe politique, féminisme évidemment, tous les sujets y passent, y compris les préoccupations plus personnelles d’une femme d’exception qui, à 80 ans passés, n’a pas perdu la capacité de dresser, quand il le faut, son «doigt d’humeur».

Notre indépendance
Stanké