Mots croisés

La politique et l’autruche

«Si nous ne réussissons pas, nous échouerons.»

Cette perle de vacuité, signée Nicolas Sarkozy, fait partie des quelque 300 citations politiques marquantes, matière à réfléchir parfois, à rigoler le plus souvent, rassemblées par Alain Stanké dans un petit livre qui paraît cette semaine: La politique? Vous voulez rire?.

On appelle ça du timing, je ne vous le fais pas dire. Ou de l’opportunisme. Passons d’ailleurs sur la bonne affaire que représente un tel florilège, qui revient à tirer profit d’un texte sorti pour l’essentiel de la bouche des autres. Sans compter la jaquette un peu trompeuse, qui donne l’impression qu’il s’agit d’un essai de Stanké lui-même. Mais ne boudons pas notre plaisir et mettons-y le nez, il est si rare de nos jours que la joute politicienne déride.

On retiendra quelques perles de finesse, comme celle-ci, prononcée par René Lévesque: «Le plus difficile, pour un homme politique, est de garder son idéal tout en perdant toutes ses illusions.»

Il y a aussi les perles de mépris, dont la fameuse phrase de Pierre Elliott Trudeau: «Les Québécois sont des pas d’allure et des placoteux qui parlent un lousy French de bécosses!»

Puis viennent les perles de maladresse. Jacques Chirac disant, par exemple: «Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, c’est ce que j’ai toujours dit.» Ou encore cette merveille signée Gérard Deltell: «Vous me connaissez, je ne suis pas le genre de gars qui va mettre la tête dans l’autruche!»

Sans oublier le grand classique de la formule qui dérape, œuvre du fort en gueule Réal Caouette: «L’Union nationale vous a amenés au bord du gouffre… Avec le Crédit social, vous ferez un pas en avant!»

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Évidemment, on referme la plaquette de Stanké en se demandant lesquelles, parmi les citations à succès de la présente campagne, ont le potentiel de passer à l’histoire. Le «Monsieur Charest, je n’ai pas de leçon d’intégrité à recevoir de vous» de Pauline Marois? Ou encore François Legault nous faisant la leçon: «Si les Asiatiques sont très travaillants et que, nous, on dit qu’on veut juste faire la belle vie, on va mal se réveiller un jour»?

Hum, plus punché sur le fond que sur la forme.

Le même Legault, playboy de circonstance, affirmant: «Je vais essayer d’examiner ce que je peux faire pour plaire davantage aux femmes»?

Sans doute la palme 2012 revient-elle à Jean Charest, invité à donner une note à son gouvernement en matière de corruption: «On se donne une bonne note, 8 sur 10.»

Si la citation se retrouve un jour dans un recueil, l’auteur se demandera certainement s’il faut la ranger dans la catégorie «maladresse» ou «humour». Mais sans doute créera-t-il une catégorie «autisme».

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Connaissez-vous Arnaud Montebourg? En voilà un qui ne mâche pas ses mots. Figure montante de la gauche française, cet adepte de la «démondialisation» croit que la démocratie doit être repensée de fond en comble, sans quoi les États tels que nous les connaissons verront se creuser toujours plus le fossé qui sépare les citoyens de leurs dirigeants.

Montebourg vient de résumer sa pensée dans un Antimanuel de politique qui fait beaucoup jaser outre-Atlantique. Éclaté, audacieux, se référant à Galilée autant qu’à Émile Zola ou Barack Obama, cet essai nouveau genre veut à la fois instruire et jouer les électrochocs. On trouvera d’ailleurs les premières pages un peu excitées, parfois grandiloquentes et sans doute propres à faire froncer les sourcils plus qu’à attirer d’éventuels disciples d’un prochain cycle politique. Voyez un peu: «Il nous faut élargir le champ, pousser les murs, se mettre en face des vrais sujets, penser pour agir plus juste, au plus près de la nouveauté qui ne demande qu’à croître, au plus loin des vieilles solutions élimées par le temps.»

En s’accrochant, pourtant, on tombera vite sur des choses intéressantes. Une lecture aiguisée de l’évolution des médias de masse traditionnels, par exemple. À commencer par la télévision, enfermée dans ses codes issus d’une autre époque et «indépendante des valeurs et des préférences qui traversent la société». D’où l’impact de cette «contre-société médiatique» qui s’est créée sur Internet et qui a permis une certaine «montée de la transparence».

Plus loin, on pointe le problème complexe des flambées de populisme, ce qui devrait intéresser les Québécois que nous sommes. «Pour beaucoup, écrit Montebourg, le populisme désigne une ligne de partage entre la bonne société, noble et bien-pensante, d’une part, et les passions archaïques et brutales d’un peuple immature et manipulé par des apprentis sorciers, d’autre part.»

Opposition dangereuse, selon lui, parce qu’elle mène à une banalisation des préoccupations de ce peuple soi-disant immature, dont on s’étonne, après, qu’il soit aussi tenté par les extrêmes. «Pourtant, fermer les yeux n’a jamais fait disparaître les problèmes», rappelle-t-il.

Une lecture incontournable pour tous ceux qui posent le diagnostic suivant: le vieux corps usé de la politique a besoin non pas d’une série de pansements et d’antidouleurs, mais d’une transfusion générale.

La politique? Vous voulez rire?
Alain Stanké
Del Busso