Il fait mentir plusieurs préjugés, Frédérick Lavoie. Celui voulant que les jeunes journalistes québécois aient tous à cœur de devenir des vedettes le plus vite possible, par exemple, davantage que de raconter le monde avec le sérieux et l’humilité qu’exige la profession. Celui surtout voulant qu’un certain idéal journalistique n’existe plus, passé qu’il serait à la trappe de l’instantanéité et de l’information-spectacle.
On avait pu suivre ses pérégrinations dans les pages de La Presse, ou encore à travers des reportages à la Première Chaîne de Radio-Canada. Journaliste indépendant basé à Moscou depuis 2008, il est devenu l’une des rares voix par lesquelles nous entendons parler sans distorsion de la Russie actuelle et de ses anciennes dépendances. Voilà qu’avec Allers simples, il démontre qu’il sait non seulement nouer les ficelles d’un bon reportage sur les troubles dans le Caucase ou quelque État périphérique, mais qu’il sait embrasser beaucoup plus large, avec portraits en creux et lecture historique aiguisée.
Cette série d’«aventures journalistiques en Post-Soviétie» – la Post-Soviétie désignant l’«ensemble non officiel regroupant douze des quinze républiques qui formaient l’URSS de 1922 à 1991» – est d’ailleurs placée par l’éditeur sous l’appellation «récit», et non «chroniques». La nuance est importante. C’est une histoire qui est racontée ici, la petite histoire d’un gars de Chicoutimi parti se frotter à la grande, à hauteur d’homme.
De son arrestation en Biélorussie, pour avoir pris part à une manifestation contestant la réélection sans doute truquée d’Aleksander Loukachenko, en 2006 – il passera 15 jours dans les geôles de l’Akrestina – à ses reportages sur le Kazakhstan, le Turkménistan et autres pays en «…stan», tout passe par le regard d’un témoin sans préjugés, qui regarde les gens dans les yeux et a compris que le meilleur passeport pour une certaine vérité humaine est la discussion, le repas partagé, la soirée amicale entouré de «spoutniki», ou compagnons de route.
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Allers simples est aussi un livre sur la vérité, ses différents visages, ses contorsions. En novembre 2008, quand le reporter débarque dans un hôtel d’Andijan, en Ouzbékistan, il sent bien que le traumatisme des «événements» de 2005 ne s’est pas effacé. En mai de cette année-là, les autorités avaient violemment réprimé un soulèvement populaire, faisant selon l’opposition et les ONG au moins 1000 morts. Le pouvoir, lui, parlera de 187 victimes, «terroristes ou membres des forces de l’ordre».
Frédérick Lavoie réalisera vite que la réceptionniste de l’hôtel, pourtant distant de quelques mètres de la place où le massacre a eu lieu, n’a retenu que la version officielle, celle véhiculée par la télévision. Depuis, elle est très nerveuse à l’idée d’admettre à l’hôtel des étrangers, qui pourraient bien être les prochains terroristes venus mettre son pays à feu et à sang.
Elle était aux premières loges pour voir que la plus grande menace qui pèse sur sa patrie est son propre gouvernement, mais des années de conditionnement et d’intimidation avaient fait leur œuvre. «Même si elle était physiquement à portée de vue de la place Babour, ses yeux sont demeurés enfermés dans la peur. Elle n’a pas voulu regarder. C’est la propagande qui s’est chargée de lui dire ce qu’il fallait avoir vu.»
Ce qu’il fallait avoir vu. Heureusement, il y a de par le monde quelques Frédérick Lavoie pour nous dire plutôt ce qu’il y avait à voir.
Allers simples. Aventures journalistiques en Post-Soviétie, de Frédérick Lavoie. Éd. La Peuplade, 2012, 384 p. 4/5
J’ai trouvé votre article un peu étonnant. Vous parlez de quelqu’un qui ne veut pas devenir un journaliste vedette, puis il est question des méchants dictateurs des ex républiques soviétiques. S’il y a quelque chose qui flatte l’oreille du lecteur occidental moyen intéressé à la politique internationale, n’est-ce pas exactement cela?
Je trouve à mon tour votre commentaire un peu étonnant. Taxer d’opportunisme un jeune Québécois parti noircir ses calepins en des contrées tout sauf glamour, parfois peu recommandables au chapitre de la sécurité et sans trop savoir où l’aventure allait le mener sur le plan professionnel, ça me paraît excessif. On est loin en tout cas de la trajectoire programmée de celle ou celui qui, à peine sorti de Jonquière, veut voir sa gueule partout. Et si le type de journalisme que pratique Frédérick Lavoie, intelligent et sensible, en fait un jour une vedette, je serai simplement heureux pour lui.
Ce que je dis, c’est qu’en commençant à lire votre article, j’avais envie de lire le livre, mais qu’en le terminant, je n’en avais plus envie, car il me donne l’impression que l’on va me conforter dans mes préjugés au sujet de ces pays où règne un régime autoritaire. J’ai envie de lire des livres qui me sortent du point de vue de nos médias traditionnels, qui me permettent de comprendre un pays à partir de d’autres schèmes de pensée que les nôtres. Mon commentaire concernait votre article, pas le livre, que je n’ai pas lu.
Si j’ai à ce point échoué à vous donner envie de le lire, de grâce, oubliez mon article et faites-vous votre propre idée. Lavoie donne beaucoup la parole aux gens qu’il croise; il juge peu, il n’est enfermé dans aucun schème de pensée. Mettez-y le nez, ça a des chances de vous plaire…
Excellent article, merci. Je suis en rain de lire le livre. Je connais bien la Russie. Ce livre ne tombe pas dans les clichés, il démontre au contraire combien la description et la compréhension de différents régimes politiques – encore en transition – demandent un regard critique et impose que l’on se refuse à classer le tout dans la case du noir ou du blanc, des bons ou des méchants. L’esprit critique est de msie, ce qu’il n’est pas simple de conserver à travers les expériences.