Un poète au ministère
Le 19 septembre, Maka Kotto devenait ministre de la Culture et des Communications du Québec. Il n’est pas le premier poète à occuper le poste – Gérald Godin était brièvement passé par les Affaires culturelles, en 1985 – et s’inscrit dans une longue tradition d’hommes de lettres appelés à de hautes fonctions politiques, dont André Malraux, ministre de la Culture en France de 1959 à 1969, est sans doute l’exemple le plus éloquent.
Une telle nomination crée évidemment des attentes dans le milieu littéraire, inquiété par une conjoncture économique difficile et le fait que notre gouvernement fédéral y accorde autant d’importance qu’à une vieille chaussette. Dans un communiqué émis il y a quelques jours, l’UNEQ (Union des écrivaines et des écrivains québécois) applaudissait le choix de Pauline Marois, puis tirait aussitôt la sonnette d’alarme: «À l’heure où la littérature québécoise fait face au virage numérique et à une fragilisation de leurs droits avec l’adoption de la nouvelle loi fédérale sur le droit d’auteur, plusieurs enjeux risquent d’affecter la situation des écrivains: la relation entre l’écrivain et son éditeur, l’enseignement de la littérature québécoise, la réglementation du prix des livres, le chantier sur la loi 51, mais aussi le soutien à la création littéraire et à sa diffusion par le Conseil des arts et des lettres du Québec dont le budget doit être bonifié.»
Il a du pain sur la planche, Maka Kotto, et l’art de la métaphore ne lui sera pas ici d’un grand secours. Quoique. Guillaume Apollinaire ne célébrait-il pas la clairvoyance du barde en écrivant, dans une lettre à Lou: «Rien ne vient sur terre, n’apparaît aux yeux des hommes s’il n’a d’abord été imaginé par un poète.»
Des lettres crues
Cette phrase d’Apollinaire, elle est citée dans Lettres crues, la correspondance entre Bertrand Laverdure et Pierre Samson parue il y a peu aux Éditions La Mèche. Un échange nourri (392 pages) à teneur parfois poétique, de fait, mais plus souvent acrimonieuse. Les gens du milieu sont d’ailleurs nombreux à avoir parcouru l’index du livre d’un doigt fébrile, ces derniers jours, pour voir s’ils y apparaissaient. C’est que plusieurs en prennent pour leur rhume, de Dany Laferrière à Wajdi Mouawad.
Soulignons d’abord la saveur du genre épistolaire, son rythme, son impudeur. Un exercice toutefois modulé par la conscience de la publication à venir – en l’occurrence, les auteurs savaient qu’un livre allait en être tiré. Avec le risque qui venait avec: celui du show de boucane, de la posture tellement appuyée qu’elle en devient caricaturale.
Si Bertrand Laverdure, mordant mais capable de nuances, capable aussi de témoigner de son actuel bonheur amoureux malgré un ton général faisant passer le bonheur pour une anomalie, évite à peu près la caricature, Pierre Samson y sombre tout à fait.
Régler ses comptes avec les uns et les autres est une chose, plutôt saine dans un Québec où l’on polémique trop peu et qui a bien besoin d’être secoué; pisser sur l’essentiel d’un milieu en est une autre. À peu près rien ni personne ne trouve grâce aux yeux de Samson, des élites politiques aux chroniqueurs littéraires. Tu n’y échappes pas toi-même, cher lecteur, puisque tu tiens entre tes mains «l’hebdo des illettrés branchés».
L’écrivain et scénariste de la télésérie Cover Girl – un temps fort de l’histoire culturelle récente, c’est bien connu – appartient décidément à une classe à part, à laquelle nous, insipides «papoteurs», ne pouvons rien comprendre. Mais puisqu’il inspire la pitié plus que la colère, souhaitons-lui de rencontrer là-haut, dans les hautes sphères de la pensée, des commentateurs assez doués pour goûter le fin miel de son génie.
Bruits du monde
Le Festival international de la littérature (FIL) s’est ouvert le vendredi 21 par Les bruits du monde, un spectacle mots et musique sous la direction de Laure Morali et Rodney Saint-Éloi, inspiré du livre-CD du même titre paru quelques jours plus tôt aux éditions Mémoire d’encrier.
J’occupais un petit coin de la scène ce soir-là, aux côtés de José Acquelin, Joséphine Bacon, Franz Benjamin, Jean Désy, Natasha Kanapé Fontaine, Dany Laferrière, Michel Vézina, Florent Vollant, Réjean Bouchard, Andrée Levesque Sioui et d’autres, dans ce qui est rapidement devenu la parfaite illustration de ce que permet le FIL: des rencontres singulières, un peu risquées, comme tout ce qui a de l’intérêt, mais souvent inoubliables de chaleur et de complicité.
Le Festival se poursuit jusqu’au 29 septembre. À voir entre autres: les toutes nouvelles «chambres littéraires» installées sur le Parterre du Quartier des spectacles. Cinq petites constructions ouvertes, où la littérature s’écrit, se slame, se débat, se propage.
C’est Tahar Ben Jelloun qui aimerait, lui qui écrivait: «Une bibliothèque est une chambre d’amis.»