Notes de passage

Montréal, scène ouverte

C’était il y a quelques semaines, ou quelques mois, je ne me souviens plus très bien. Chose certaine, c’était ce qu’on appelle, dans le jargon journalistique, un slow news day.

C’était il y a quelques semaines, ou quelques mois, je ne me souviens plus très bien. Chose certaine, c’était ce qu’on appelle, dans le jargon journalistique, un slow news day. Le Journal de Montréal, qui n’a pas son pareil pour monter en épingle le moindre non-événement, venait de consacrer sa une à Madonna, affirmant d’un ton scandalisé que la grande star boudait Montréal.

Un non-événement absolu, disions-nous, pourtant venu pimenter, in extremis, l’une de ces journées fades et sans histoire qui sont le Waterloo des réseaux d’information continue. Du coup, il n’en fallait pas plus pour que l’un d’eux me convie (à titre d’"expert", s’cusez du peu…) à commenter la situation catastrophique de l’industrie du spectacle au Québec.

L’animateur n’a fait ni une ni deux. Tel un coureur du 100 mètres haies shooté à l’EPO, il a enjambé tous les obstacles de la raison pour aboutir à l’explosive conclusion suivante: "Si Madonna ne vient pas à Montréal, il faut donc en conclure que le spectacle va mal chez nous! Allez, avouez, nous ne sommes pas assez bons pour les grosses vedettes; les salles vont fermer et Montréal va devenir un désert culturel…"

D’abord, le spectacle ne se porte pas mal du tout, merci de vous en inquiéter. Même qu’au cours des deux dernières années, Montréal a présenté plus de concerts que dans les quatre précédentes, alors de là à parler de crise… Bien sûr, il y aura toujours quelques "visionnaires" myopes qui se casseront la gueule (et c’est bien fait pour elle) en mettant à l’affiche des péplums musicaux de troisième ordre à 127 $ la place. Bien sûr, de plus en plus de producteurs locaux hésiteront à payer de mirobolants cachets en dollars US à des vedettes sur le retour qui pourraient ne pas faire salle comble. So what? Plus vous bouderez les grosses machines titanesques, plus vous aurez de chances d’assister à de petits miracles inattendus…

Le vrai phénomène, c’est que ces miracles appartiennent de plus en plus à des visages locaux. Prenez Les Cowboys Fringants et Grimskunk, de véritables chevaliers de l’indépendance qui s’apprêtent à envahir le Métropolis tous les deux. Pour les premiers, il s’agit d’un cap important; pour les seconds, d’une simple formalité maintes fois remplie. Dans un tout autre genre, on devrait aussi saluer le succès sans précédent de Daniel Bélanger, qui, avec son spectacle à rallonges, va finir par jouer pour l’équivalent d’un Centre Molson à force de remplir le Spectrum et l’Outremont. C’est pas réjouissant, ça? Et puis il y a Daniel Boucher, qui terminait le week-end dernier sa tournée 10 000 Matins, deux ans après être monté sur les planches du Corona pour la première fois.

Justement, Daniel Boucher… "Devient-il c’qu’il a voulu?" Si l’on en juge par sa performance de vendredi dernier, il est devenu tout ça et plus encore. Avec une mise en scène pas mal plus épurée que celle de ses débuts dans la même salle, il a ravi un public conquis d’avance. Il y avait quelque chose de troublant à voir cette chorale de fans dévoués, qui connaissent jusqu’aux moindres néologismes joualisants du "poète des temps gris", chanter en choeur avec son héros. Un public que Boucher, bon prince, invitera à monter sur scène à la mi-parcours et qui ne redescendra qu’une fois le rideau tombé. Malgré sa légendaire assurance, Boucher semble le premier surpris de l’ampleur de son propre phénomène. " Des fois, tu fais des affaires pis ça donne des résultats auxquels tu t’attendais pas", a-t-il lancé, incrédule, devant la ribambelle d’enfants qui s’agitaient sur scène au son des Silicone et autres Boules à mites.

L’effet Boucher pourrait aller grandissant, puisque Daniel s’apprête à lancer son premier album en France. Mais si vous voulez mon avis, il y a des risques que les cousins ne comprennent rien à sa Désise et que Daniel revienne penaud, alors qu’on l’a pourtant déjà consacré "Charlebois du 21e siècle". Et ce jour-là, si le monde est en mal d’attentats, je serai sûrement invité à RDI ou LCN pour commenter l’effet pervers de Thierry Ardisson sur la santé de la chanson québécoise en France. Misère…

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Le spectacle va bien, donc. Tellement, en fait, que nous manquons de pages pour en témoigner adéquatement en ce moment. Mais s’il est une publication qui ne manque pas d’espace, c’est bien le magazine Exclaim!. Basé à Toronto mais distribué dans tout le Canada, ce mensuel gratuit (presque) exclusivement consacré à la musique célèbre son dixième anniversaire avec une série de spectacles dans toutes les grandes villes canadiennes. À Montréal, on aura droit à l’une des plus belles affiches grâce à la présence d’Antibalas Afro-Beat Orchestra et de Dan Snaith, alias Manitoba, probablement la figure la plus importante de la scène électronique canadienne, qui partageront la scène avec Model Children et Hidden Cameras, au Cabaret le 4 avril.