Non, sérieusement, tu vas à Bourges? Mais pourquoi?
Si on m’avait donné cinq centimes d’euro chaque fois qu’un journaliste parisien m’a posé la question, j’aurais, ben… un gros paquet de monnaie encombrante tintant dans mes poches. C’est qu’à Paris, il est de bon ton de décrier la vénérable mais fragile institution qu’est devenu le Printemps de Bourges. Pour les Parigots, cet événement est tantôt une relique d’une autre époque qui n’a pas su prendre le train des nouvelles tendances, comme les Transmusicales de Rennes, tantôt un gigantesque trou à subventions qui ne sert qu’à exciter quelques élus locaux. Bref, le Printemps est un festival qui se cherche une identité, quelque part entre les variétés rentables et les découvertes audacieuses. Cette année, on a affaire à une programmation réduite (quelque 40 concerts officiels contre 63 l’an dernier) et, de l’avis de la plupart des médias franciliens, pas assez excitante pour qu’on dépêche un correspondant officiel en plein coeur du Cher.
La première soirée était à l’image de ce déchirement et de cette quête de sens: le grand événement de la première journée du Printemps revenait aux consensuels et inintéressants Cranberries, dont aucune actualité discographique pertinente ne justifiait la présence ici. Mais bon, la chanteuse Dolores O’Riordan attire toujours son lot de fidèles, et ceux qui étaient réunis sous le grand chapiteau de l’Igloo ne se sont pas fait prier pour taper des mains et reprendre en choeur ses refrains pompiers. On a passé un bien bref moment en compagnie des Canneberges irlandaises, le temps, en fait, d’entendre un Zombie qui n’a jamais si bien porté son nom, tant ce hit planétaire était interprété par un groupe de morts-vivants. On constate, en quelques minutes, que malgré leur popularité, les Cranberries resteront toujours un groupe mineur.
On se déplace donc illico vers le centre sportif du Palais d’Auron pour y entendre Tarmac, le nouveau groupe de Gaétan, chanteur de Louise Attaque. Première constatation: là où Louise Attaque enfonce le clou à chaque morceau à l’aide d’un violon épileptique, Tarmac offre une agréable alternance entre morceaux intimistes et moments plus rock, avec une utilisation très juste des claviers. Ce que le groupe perd en intensité constante, il le gagne par contre en subtilité. Aux fans de Louise Attaque de choisir leur camp. Puis, arrive Miossec, qu’on est un peu surpris de voir en tête d’affiche. Le Breton, fidèle à son habitude, a l’air complètement bourré et harangue la foule de commentaires quasi inaudibles. Derrière lui, on remarque un groupe fort compétent, au sein duquel on reconnaîtra Yann Péchin à la guitare (il a déjà accompagné Carole Laure!) et un trompettiste des plus efficaces, qui se démènent avec l’intensité d’un band de hard rock. Le pauvre Christophe Miossec, la voix de plus en plus ravagée par l’abus de clopes et d’alcool, crache comme il peut dans son micro, mais a peine à suivre le tempo. Dommage de le voir si loin du niveau de compétence de ses musiciens, car le groupe porte toujours son nom.
En fin de soirée, là où l’on fait généralement les plus belles découvertes, la petite salle du Germinal était surtout remplie de spectateurs professionnels arborant le fameux badge qui donne accès à tous les concerts (à l’exception, a-t-on appris avec une certaine détresse, de celui de Yann Tiersen, qui vit une année vraiment fabuleuse depuis la sortie d’Amélie Poulain). En première partie, le trio Chocolate Genius a eu quelques moments de fulgurance presque improvisée, alors que le chanteur affichait l’énergie d’un Ben Harper. Puis, en remplacement d’un Cornershop absent (ce n’est que partie remise, puisqu’on pourra voir le groupe de Tajder Singh sous peu à Montréal), on a eu le grand plaisir d’apercevoir Bumcello, un duo inouï formé de Vincent Segal et Cyril Atef, section rythmique de M. Ce duo violoncelle électrique-batterie, qui improvise à la vitesse de l’éclair, s’échantillonnant lui-même en direct et intégrant des motifs moyen-orientaux ou africains à des rythmes qui atteignent la vélocité du drum’n’bass, propose une hallucinante bouillabaisse culturelle. À deux, ils sonnent parfois comme un orchestre complet, le violoncelle de Segal évoquant tantôt un violon tzigane, tantôt une clarinette. Décoiffant et jamais hermétique. On a terminé la soirée avec Mei Tei Sho, un groupe issu du fameux Réseau découvertes du Printemps de Bourges (grâce auquel le festival donne sa chance à de jeunes formations émergentes), qui a offert une performance aux accents dub et s’est livré à de longs jams jazzés pas mauvais, mais semblables à ce que font les dizaines de formations similaires qui pullulent en France.
Bilan de cette première journée? C’est l’audace qui l’emporte sur les gros canons populaires, et de loin. Celle de Tarmac, projet au profil (relativement) bas issu d’un groupe à la popularité incroyable, et celle de Bumcello, qui a prouvé que l’impro sans filet peut être plus stimulante et accessible que bien des hits désincarnés. Il reste quatre jours de musique à Bourges. Gageons que quelques surprises nous y attendent, malgré ce qu’en pensent les journalistes de Paris.