Notes de passage

(Bad) Trip chimique

On va à un concert des Chemicals Brothers comme on se pointe à un parc d’attractions. Pour en prendre plein la gueule, à l’aide de force lumières clignotantes, de bruits assourdissants et de voyages en montagnes russes qui vous font remonter le coeur dans le gorge. Bref, on va voir les Chemical Brothers pour se faire brasser la cage – littéralement. Car la transposition scénique de leurs "block rocking beats" est parfois tellement intense qu’elle risque de vous fracturer une côte ou deux au moyen d’une ligne de basse qui peut prendre la forme d’un coup de matraque.

Après les avoir vus à Montréal à deux reprises, on s’attendait à ce que le rouleau compresseur d’Ed Simons et Tom Rowlands nous aplatisse à nouveau. Et dans les premières minutes du concert, on y a cru: projections psychédéliques, système de son "surround" et gros beats assassins; tout y était. Seulement voilà : les Chemical Brothers ne sont plus, en 2002, le phénomène qu’ils représentaient à la sortie d’Exit Planet Dust il y a quatre ans. On pourrait même dire que leur plus récent disque, Come With Us, est d’un ennui mortel, tant il ressasse la même recette sans grande conviction. La répétition, pourtant si importante à l’effet de transe qui est le Graal de tout musicien électronique, a fini par montrer ses limites. Et à force de se répéter sans tenter d’égaler en intensité les Hey Boy, Hey Girl (l’un des moments forts de la soirée), Electrobank et autres Block Rocking Beats, les frères chimiques ont, pour reprendre le titre de l’un de leurs propres albums, "creusé leur propre trou".

Si les Chemical Brothers ont connu un succès planétaire, c’est en transcendant la musique électronique pour s’imposer au panthéon du rock. S’ils veulent y garder leur place, ils devraient songer à écrire quelques morceaux dont le souvenir durerait plus longtemps qu’un tour de manège.

***

Le surlendemain, au Café Campus, on a eu droit à une tout autre vision de la musique électronique. Zero 7, un autre duo de rats de studio britanniques, faisait escale chez nous dans le cadre de sa première tournée mondiale.

Loin des sets de D.J. ou des performances de laptop de plus en plus interchangeables, la proposition de Zero 7, imaginée dès la création de l’album Simple Things, misait sur le live. Et on en a eu pour notre argent, puisque les deux triturateurs de boutons s’étaient entourés d’une batterie, d’une basse, d’une guitare et de quatre chanteuses et d’un chanteur qui ont distillé un élégant et sucré mélange plein de soul. Techniquement, le groupe n’avait rien de bien impressionnant et on décelait aisément qu’il allait nécessiter encore plusieurs mois de rodage, mais l’énergie positive qui s’est installée entre la foule et les musiciens était telle qu’on ne pouvait s’en formaliser.

Il était écrit dans le ciel que le public montréalais allait embrasser la proposition de Zero 7, tout comme il avait réservé un accueil triomphant à Morcheeba il y a quelques années. On n’insistera pas sur les similitudes par trop évidentes entre les deux formations pour se concentrer sur l’essentiel: voilà un groupe sensuel, suave et séduisant. Et au vu de la réaction délirante qu’a engendrée cette petite saucette au Café Campus, je vous garantis que c’est au Spectrum qu’on va les revoir sous peu.

***

Changement de cap, lundi soir, alors que les Américains de Wilco effectuaient leur premier arrêt à Montréal en près de 10 ans d’existence. Au Spectrum, on se serait presque cru dans un show de Blue Rodeo (public majoritairement anglo, calme et bien au-delà de la trentaine), une comparaison facile puisque les deux groupes partagent non seulement une certaine sensibilité artistique, en puisant dans le country, le folk et la pop, mais aussi parce qu’ils ont déjà travaillé ensemble.

Le chanteur et guitariste Jeff Tweedy (qui n’est pas exactement Mister Entertainment) nous a flanqué la frousse en début de parcours, avec un choix de répertoire un peu étrange, en ceci qu’il s’appuyait presque exclusivement sur l’album Yankee Hotel Foxtrot, qui n’allait se retrouver en magasin que le lendemain du concert. Quelques pièces du glorieux et beatlesque Summer Teeth ont permis aux fans de retrouver un univers familier et, l’air de rien, le groupe a progressé vers un son de plus en plus rock, au fil des innombrables changements de guitare de Tweedy (au moins huit!). Mais les fans, qui connaissaient visiblement la formation depuis ses débuts, en voulaient plus et réclamaient les sonorités plus country des anciens Uncle Tupelo. Ils furent servis lors d’un généreux rappel de huit chansons, alors que Tweedy et compagnie sont revenus en lion avec deux reprises de Woodie Guthrie (tirées du premier Mermaid Avenue, enregistré avec Billy Bragg) et, surtout, de quelques morceaux de leur double album Being There, dont l’excellente Red Eyed and Blue. Au final, on a pu valider ce qu’on affirme depuis longtemps: Wilco est à la fois l’un des meilleurs et des plus mésestimés des groupes américains actuels.