Notes de passage

New York, New York

New York, New York

C’est la pochette noir et blanc, barrée des lettres rouges, qui m’a immédiatement fait saliver. Ça s’appelle CBGB’s and the Birth of U.S. Punk et, comme son titre ne l’indique pas du tout, ce sont des Anglais qui sont responsables de cette succulente compilation.

Le CBGB’s, pour ceux qui l’ignoreraient, est un bar minable qui a servi d’épicentre à l’un des courants les plus importants de l’histoire de la musique pop. Oubliez le fameux 100 Club où le punk britannique a vu le jour, le Hacienda qui a déclenché la déferlante de Madchester ou même le Cavern à l’origine de la Beatlemania. Pour bien des fans de rock, dont je suis, aucun club n’est aussi mythique que le CBGB’s.

Remettons les choses en perspective: cette récente compilation n’est pas un document historique proposant d’introuvables versions live des Stilettoes (le groupe précurseur de Blondie et des Ramones), mais plutôt un petit arbre généalogique très subjectif de quelques géniaux enfonceurs de portes qui ont mis le rock sens dessus dessous. D’ailleurs, cet assemblage hétéroclite compte pas mal de gens n’ayant jamais foulé les planches du CBGB’s (plusieurs trucs datent des années 60 et relèvent de ce qu’il convient d’appeler le proto-punk, des ritournelles garage des Sonics aux délires plus artistiques du Velvet), et on y retrouve aussi bon nombre de non-New-Yorkais (Pere Ubu et les Electric Eels sont de Cleveland; les Stooges de Detroit; les Sonics de Tacoma, Washington; les Seeds de L.A.; les Dead Kennedys de San Francisco; Jonathan Richman de Boston; les 13th Floor Elevators du Texas, etc.).

Tout ça pour dire que c’est vers New York, au milieu des années 70, que les idées de ces détraqués (les Electric Eels, punks avant la lettre, ont implosé sous le poids de leur propre folie avant d’atteindre la reconnaissance) ont coalescé. Dans une rue minable d’un quartier paumé, Hilly Kristal tentait tant bien que mal de faire survivre un club dont l’acronyme (Country, Bluegrass, Blues) témoignait clairement de ses préférences musicales. Mais en laissant monter sur scène Richard Hell et Tom Verlaine, les fondateurs de Television, il allait, bien malgré lui, déclencher une onde de choc dont on ressent encore les effets bienfaisants. Blondie, les Ramones, les New York Dolls et autres Johnny Thunders (tous représentés ici) allaient réinventer le rock en revenant à ses racines: sang, sexe et sueur, doublés d’une certaine sensibilité artistique, allaient redonner au rock un air de danger et de rébellion.

Seule ombre au tableau de cette collection, autrement impeccable: l’absence des Talking Heads (pour des raisons purement contractuelles) et celle, moins excusable, d’une figure emblématique du CBGB’s, la grande Patti Smith. Qu’à cela ne tienne, Patti a eu droit récemment à sa propre anthologie (essentielle, elle aussi), Land, qui foisonne de raretés. De la version démo de Piss Factory (naissance du spoken word au féminin) à son hallucinante interprétation de Spell (tirée du poème-fleuve Howl, d’Allen Ginsberg), la voix de Smith n’a rien perdu de son mordant.

Alors qu’on célèbre le quart de siècle du punk, il serait bien de revenir à ses précurseurs, et je ne vois pas de meilleure façon qu’en dépensant quelques dollars pour ces deux anthologies. Pour reprendre une phrase souvent entendue: peu de gens ont acheté les disques des artistes ci-haut mentionnés à leur sortie, mais tous ceux qui l’ont fait ont fondé des groupes. Aujourd’hui, ces deux disques sont à mettre dans les mains de tous les aspirants musiciens et de tous les imbéciles qui croient que l’Amérique n’a jamais produit autre chose que de la pop culture jetable.