Notes de passage

De Victo à reykjavik

Cette année, j’ai manqué la sortie de Victoriaville. Je pourrais dire que je me suis égaré quelque part sur l’autoroute 20 (pas très crédible: peut-on se perdre sur une ligne droite?) ou que j’ai simplement loupé la sortie de la capitale de la poutine. En fait, je suis resté à Montréal où il faisait trop froid et trop moche pour bouger bien loin. Le temps idéal pour s’enfermer dans une salle de concert et y découvrir les dernières créations de ces valeureux praticiens de l’inouï qui séjournent à Victo, me direz-vous, sauf lorsque celle-ci se situe à 1 h 40 de moto de son chez-soi douillet. Enfin, mon dévoué collègue Réjean Beaucage a eu le courage, lui, d’aller s’ébaudir dans les Bois-Francs. Et il l’a fait avec beaucoup de plaisir, si l’on en juge par le compte rendu que vous pouvez lire en cliquant ici.

C’était un week-end gris et triste, tout juste bon à s’enrouler dans la douillette en se faisant bercer par quelque chose d’éthéré et de poétique. Un week-end à planer en Islande avec Múm, nouvelle créature du pays de Björk et de Sigur Ros et depuis quelques semaines drogue indispensable pour chasser l’ennui. Il m’en faut peu pour planer, je le répète souvent, mais il suffit de lire les noms des musiciens de ce quatuor, pleins de ces étranges "ð", "Þ" et autres "ý" pour se sentir plus proche du soleil de minuit. Allez voir à la page Disques, lisez mon texte, oubliez-le et puis précipitez-vous chez votre disquaire préféré, ça vous reviendra moins cher qu’un billet pour Reykjavik. Si votre marchand vous dit qu’il ne tient pas les albums du label Fat Cat, vous l’engueulez de ma part. Comme dirait Daniel Pinard, ne m’appelez pas pour me demander dans quelles échoppes trouver Finally We Are No One; demandez simplement à votre sympathique commerçant de le commander, et il le fera, s’il sait où est son intérêt.

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C’était un week-end gris, idéal pour ressasser le souvenir que nous a laissé le concert que donnait Fredric Gary Comeau jeudi dernier. Même si la salle n’était pleine qu’à moitié et que la majorité des gens présents étaient sur la liste d’invités, "L’Acadien errant" a confirmé tout le bien que l’on dit de lui depuis la parution de son album Hungry Ghosts. Accompagné d’un groupe de vieux routiers (François Lalonde à la batterie, Gilles Brisebois à la basse et Claude Fradette aux guitares), Comeau nous a traînés en douceur d’Istanbul à Barcelone, donnant à ses souvenirs des accents ronds et enveloppants pigés sur les routes sonores de l’Amérique du Nord. Un folk singer moderne comme on n’en avait pas vu depuis longtemps ici qu’on espère qu’il connaîtra le succès qu’il mérite. Seulement voilà: Comeau n’a pas une gueule de rock star, il faudrait être aveugle pour prétendre le contraire, et ses chansons sont bien trop belles pour la radio. Mais cette anti-star a fait du chemin depuis que je l’ai vue au Festival d’été, l’an dernier. S’il demeure (comme le reste de ses comparses) presque immobile tout au long de son concert, Comeau a la parole de plus en plus facile (presque trop: il s’est même excusé de quitter la scène, prétextant une furieuse envie de pisser!) et une attitude désinvolte qui ne le rend que plus attachant. À découvrir, avant qu’il ne parte à nouveau en voyage.

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Quand il n’y a plus de disques à écouter ou de souvenirs à ressasser, il reste toujours la télé. Pendant qu’Eugene Chadbourne et René Lussier s’énervaient à Victo, Radio-Canada (du moins ce qui en reste) présentait Ouest Side Stories, documentaire réalisé par Marc Coiteux sur la communauté artistique anglophone de Montréal. On y retrouvait bien sûr des auteurs, des dramaturges et des comédiens, qui ont remâché les habituels clichés sur la richesse culturelle de leur ville (natale ou d’adoption) avec des grands yeux rêveurs. Mais on y découvrait aussi – et c’est là que ça devenait intéressant – le grand paradoxe que vivent quotidiennement les créateurs anglos d’ici. Ce sont les musiciens qui ont exprimé ce malaise de la manière la plus éloquente. Pour les Melissa auf der Maur (qui a joué avec les Smashing Pumpkins et Hole), Rufus Wainwright et autres James Di Salvio (Bran Van 3000), le drame tient au fait que si leur ville est en grande partie responsable de leur essor créatif, elle est aussi le plus grand frein à leur carrière… Ignorés par le Canada anglais tant qu’ils ne sont pas découverts par les Américains, ils préfèrent souvent se tirer directement à New York ou à L.A. Ce sont nos voisins qui y gagnent et nous qui y perdons au change, car (et c’est là le message premier de ce documentaire), lorsque les anglos créatifs nous quittent, c’est une partie de Montréal qui s’en va avec eux.