Notes de passage

MUTEK, ANNÉE ZÉRO

On aurait pu parler de la version 3.0 de MUTEK, histoire de souligner le troisième anniversaire de ce festival dédié à la musique électronique actuelle. Mais le formidable bond en avant qu’a effectué cette année l’événement justifierait qu’on parle carrément d’année zéro.

Étrangement, c’est exactement en ces mots que le directeur artistique de l’événement, Alain Mongeau, a fait le bilan des quatre jours qui ont fait vibrer la SAT, le complexe Ex-Centris et même le Métropolis la semaine dernière. "C’est vrai qu’il s’agissait d’une année charnière et qu’elle a presque été au-delà de nos espérances, confirmait Mongeau. Je pense surtout que cette année, tout le monde y a trouvé son compte."

C’est peut-être là le meilleur signe de santé d’un festival, qu’on croyait à ses débuts réservé à une élite éclairée. Car si on a encore vu cette fois-ci des amateurs de micro-sons assis en tailleur sur le sol de la salle d’Ex-Centris, les yeux fermés pour goûter chaque instant de performances où il n’y a souvent rien à voir, on a aussi croisé des gens souriants dansant avec abandon sur les beats d’Akufen au Métropolis. Entre les deux, il y avait de la place pour à peu près tous les représentants de la planète électronique: des drôleries rétro futuristes de Felix Kubin et Nova Huta aux paysages envoûtants de Murcof, en passant par le minimalisme de bon ton d’un Stephan Mathieu et les expérimentations plus physiques que numériques d’Helen of Troy et Janek Shaefer (platiniste très low-tech, à la manière d’un Martin Tétreault), plusieurs aspects de la musique électronique ont été mis en valeur.

La grande révélation de cette nouvelle incarnation de MUTEK – véritable épiphanie pour les uns, déception pour les autres – a eu lieu lors de la soirée de vendredi au Métropolis. Certains puristes pourraient y trouver à redire. Un festival consacré à l’innovation devrait-il s’appuyer sur des gros noms (quoiqu’on se demande bien sur quelle planète Akufen et Radio Boy, tout estimables soient-ils, sont devenus des gros noms) qui font danser le corps plutôt que les neurones? Et pourquoi pas? Pour la première fois, MUTEK rassemblait plus de 1200 personnes au même moment et au même endroit. C’est pas un exploit, ça?

Lors de cette soirée, Jon Berry, le représentant montréalais du label allemand Force Inc, flottait sur un nuage, répétant à qui voulait l’entendre qu’on assistait à un moment historique en voyant son poulain Akufen faire vibrer la piste de danse. Benoît Hotte, directeur des communications du festival, exultait et remerciait les journalistes de leur appui.

Bref, tout le monde jubilait, hormis quelques pisse-vinaigre qui n’ont jamais pu juger l’ampleur des sons déversés sur la piste de danse puisqu’ils sont restés appuyés au bar. À ceux-là, et à tous les cyniques qui croient que succès populaire veut forcément dire facilité, rappelons que Herbert et Akufen, des habitués de l’événement, ont brillé lors de la dernière édition et qu’ils incarnent à merveille cet équilibre si difficile entre expérimentation et accessibilité. Si l’on peut reprocher à Matthew "Radio Boy" Herbert d’être simpliste dans sa charge contre les méchantes corporations capitalistes, sa musique, spontanée, vivante et parfois déroutante, n’a rien de facile.

***

Au-delà des considérations artistiques, qui pourraient mener à d’interminables débats (expérimentation ou attrait grand public, performances live ou écoute passive de shows de laptops), il faut reconnaître une chose: si MUTEK a connu autant de succès cette année, c’est grâce à un étonnant synchronisme entre les journalistes, davantage à l’affût, les spectateurs de plus en plus éduqués et réceptifs, et un programmateur qui sait agencer des soirées de plus en plus équilibrées. C’est surtout parce que MUTEK a su créer un cadre propice aux rencontres et aux échanges (les participants restent presque tous pour la durée du festival) entre les musiciens d’ici et d’ailleurs.

Bref, le petit festival l’est de moins en moins, et il doit maintenant gérer sa croissance. Alain Mongeau l’a affirmé, MUTEK n’a pas l’intention de faire la guerre au Sonar de Barcelone. Si MUTEK doit prendre de l’ampleur, ce sera d’abord et avant tout en qualité et en reconnaissance (on attend les subventionnaires au tournant). Pour ce qui est des prochaines éditions, on attendra de voir si les nouveaux locaux de la SAT seront moins sensibles aux vibrations, on espérera qu’Ex-Centris offrira mieux qu’un plancher où poser ses fesses et on souhaitera que les artistes d’ici continuent à faire leur marque aux côtés de ceux d’ailleurs. Il est même permis de voir plus grand: on parle déjà d’organiser des MUTEK à Berlin et même à Valparaíso, au Chili.

À sa troisième année, MUTEK a prouvé qu’il n’était pas, comme le pensent certains de ses détracteurs, une vaste entreprise de mystification. C’est un festival en constante évolution qui tente, tant bien que mal, de témoigner de la pertinence et de la complexité de la culture électronique. Et ça, c’est déjà beaucoup.