Ah le retour du rock. Depuis le temps qu’on vous rebat les oreilles avec cette énième résurrection des trois salutaires accords de base et qu’on vous claironne qu’un ressac bienfaiteur engloutira d’une vague de décibels toutes ces petites créatures technoïdes, vous devez bien commencer à y croire…
Au fond, il n’était jamais parti, le gros rock pas propre sur lui; il macérait simplement dans son jus, se bonifiant au contact des meilleurs fûts, entre les murs poisseux des bars les plus miteux d’Amérique et d’ailleurs. Mais vous connaissez les journalistes: trouvez-leur un groupe qui sort du lot, vous avez un phénomène. Trouvez-en deux autres de la même eau, et vous assistez à la naissance d’un mouvement.
Alors supposons un moment qu’un tel mouvement existe. N’est-ce pas sur scène, dans son environnement naturel, qu’on a le plus de chances de constater comment il se porte? Les Strokes, chef de file de la nouvelle vague de rockers impénitents, en avaient déçu plus d’un lors de leur passage au Cabaret, et laissé supposer que la hype allait se dégonfler d’un jour à l’autre. Mais dimanche dernier, dans un Club Soda bondé, il était écrit dans le ciel – comme sur le mur du fond, à l’aide d’un logo à ampoules digne de Kiss à ses débuts – que les Hives allaient nous rassurer sur l’état de santé de notre idiome musical préféré.
En compagnie des tout aussi rock garage Mooney Suzuki, les valeureux Suédois allaient remettre les cyniques à leur place et asséner à tous les mécréants de solides coups de Fender Telecaster en plein crâne. À notre grande joie, c’est exactement ce qui s’est passé.
Dès son arrivée sur scène, le groupe a fait la démonstration que le rock’n’roll, le vrai, nécessite, avant même que la première note ne soit balancée, une attitude à l’épreuve des balles. Tirés à quatre épingles (chemise et pantalon noir, cravate et chaussures blanches), les cinq gars de Fagersta semblaient prêts à assassiner une bande rivale. Le chanteur Pelle Halmqvist, qui doit boire chaque jour un cocktail composé à parts égales de Mick Jagger, d’Iggy Pop et d’Elvis, a harangué la foule et réitéré entre chaque morceau qu’on avait devant nous "the fucking greatest rock’n’roll band in the universe". Difficile de lui donner tort. Les Hives sont tellement sûrs d’eux qu’ils arrivent à nous faire oublier que toutes leurs chansons sont interchangeables et que des centaines de groupes ont suivi le même chemin depuis les 35 dernières années. Quarante minutes intenses, rappel compris, ont suffi. Ça, c’est du talent.
Une démonstration qui n’avait rien à voir avec le plat tiédasse que ces mollassons de Black Rebel Motorcycle Club nous ont servi au Cabaret quelques jours plus tôt. Ces trois Anglais ont eux aussi été affublés du titre ridicule de sauveurs du rock de la semaine, mais comme ces affirmations grandiloquentes sont le fruit de l’imagination de quelques journalistes anglais, elles sont à prendre avec un grain de sel de la taille d’un météorite. Ils ne sont pas mauvais, les BRMC, loin de là. Seulement voilà, ils sont anglais, avec tout ce que ça comporte de références culturelles. Et sur la scène du Cabaret, on a parfois eu l’impression d’entendre du Jesus and Mary Chain sans le bruit ni la fureur, ou du Love and Rockets sans les refrains accrocheurs. Il y avait bien, çà et là, quelques petits moments de fulgurance, mais pas assez. Je le répète: ils ne sont pas mauvais, ces "rebelles noirs", juste un peu ternes, c’est tout. Et pour un groupe qui prétend insuffler un peu de vie au rock’n’roll, c’est le pire affront qui soit.
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La palme de la soirée bizarre de la semaine revient à un trio de performances déroutantes données lundi soir, à la Sala Rossa. En guise d’introduction, le groupe We Are Molecules, de Montréal, donnait son premier concert à vie. Pour cette raison, on pardonnera presque tout à cette bande de revivalists new wave, sauf d’avoir invité une chanteuse qui a eu le malheur de se prendre pour Peaches. Suivait The World Provider, le "cow-boy new wave", qui, à l’aide d’un Casio et d’un MiniDisc (et de quelques judicieux changements de costumes), nous a livré une performance digne des meilleurs karaokés japonais. Tard, beaucoup trop tard, le héros de la soirée, Mr. Quintron, organiste extraterrestre et créateur d’instruments farfelus (voir son drum buddy, beat box bricolé à l’aide de boîtes de conserves), s’est enfin pointé le bout du nez. Après un interminable spectacle de marionnettes de sa charmante épouse Miss Pussycat, il a groové au son d’un orgue qui aurait fait même peur au grand maître Raymond Scott. Amateurs de psychotronisme de tout poil, rendez-vous sur le site de Mr. Quintron au www.eccentricneworleans.com et vous verrez ce que vous avez manqué.
Comme le faisait remarquer justement mon ami Garand, il y avait quelque chose de berlinois dans l’air ce soir-là: un esprit de franche déconnade qu’on associe à l’étiquette Kitty-Yo (Peaches, Gonzales, Louie Austen et autres). Disons que c’était une soirée pour enfants attardés, membres de la génération X, Y ou Z, au cerveau givré par l’abus de dessins animés et l’absorption massive de Lucky Charms à la mescaline. En d’autres mots, c’était absolument n’importe quoi, mais ça a fait beaucoup de bien.