Le party de l’année? C’est ainsi que Laurent Saulnier, programmateur en chef des scènes extérieures, a lancé le grand événement de mardi dernier, et on serait malvenu de lui donner tort. Après l’expérience cérébrale et hypnotique du Groove alla Turca l’an dernier, King Chango allait foutre le feu avec sa mixture pas toujours juste mais diablement efficace de ska-latino.
Véritable point d’orgue de cette mi-festival, la performance de Blanquito Man et de sa bande possédait toutes les qualités d’un bon show extérieur: du groove, des "vibrations positives" (dont la propagation virale semble être la seule raison d’être de King Chango) et une excellente utilisation du site, à l’aide d’effets visuels simples (des centaines de ballons de foot géants lancés dans la foule, des ombres chinoises projetées sur l’hôtel Wyndham, des danseurs, etc.) mais efficaces. Ce qui était étonnant, dans ce concert très fédérateur placé sous la bannière "nuevo latino", c’est le nombre de messages politiques (antiracisme, décriminalisation de la marijuana, appui au sous-commandant Marcos, etc.) que Blanquito Man a réussi à faire passer sans jamais alourdir l’esprit de la fête. On a dansé, on a été aspergés d’eau et on a souri tout du long. Une réussite.
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S’il est encore un peu tôt pour dresser le bilan de cette 23e édition du Festival de Jazz, voici quand même quelques-uns de mes coups de cour (et/ou coups de pied) jusqu’à présent…
Le mercenaire ubiquiste du festival: Eivind Aarset. On a d’abord vu le guitariste norvégien à sa place habituelle, aux côtés du trompettiste Nils Petter Molvaer, qui n’a malheureusement pas donné son meilleur concert à Montréal. Pataugeant trop longtemps dans des eaux trop calmes pour le bruyant Club Soda, il a toutefois conclu son set de manière plus rythmée et plus satisfaisante. Avec son trio Électronique Noire, au Gesù, Aarset a brillé de mille feux, affichant l’influence évidente de Terje Rypdal, qu’il a toutefois su transcender en créant l’une des plus convaincantes fusions d’électronique et de guitare. Le lendemain, par contre, il s’est complètement effacé dans le Grace de Ketil Bjornstad, qui fleurait bon le new age à saveur médiévale (malgré sa jolie voix, Anneli Drecker faisait un peu trop penser à Enya).
La plus longue présentation de musiciens du festival: Miriam Makeba. À son deuxième morceau, "Mama Africa" s’est lancée dans une présentation qui a duré un bon 20 minutes, soit 15 minutes de trop, pour ensuite attaquer le r’n’b mollasson d’Africa Is Where My Heart Lies. On en sortira assez rapidement, en s’assurant de revenir pour capter les dernières minutes du set de la deuxième mémé de la soirée, la septuagénaire "mas sexy" du festival, Omara Portuondo. La diva du Buena Vista a eu la bonne idée d’inviter le pianiste Chucho Valdés le temps d’une petite interprétation de Summertime avant de terminer dans l’allégresse, soutenue par un big band qui tue et du son cubain approprié à la température torride des derniers jours.
La beauté fatale: ex aequo: Coral Egan et Héléna Noguerra, qui ne manifeste malheureusement pas une présence scénique à la hauteur de ses attributs plastiques. Bon groupe, jolie voix; mais ses petites bossas ne passaient tout simplement pas la rampe. Mention honorable à son conjoint Katerine, pour ses petites chansons scato-comiques livrées devant un public médusé. Coral Egan, elle, possède autant de talent que de charme. Ses interprétations bien senties de Tom Waits, Gainsbourg, Jobim et autres ont révélé une voix de cristal (bien soutenue par la guitare d’Alex Cattaneo) et une présence qui la destinent à de grandes choses.
L’anglo enthousiaste: Norman Nawrocki, du groupe Dazoque!, présentant, dans son plus joli français, son histoire sur les bisons franco-manitobains et demandant à la ronde "Y a-t-il des Roumaniens (sic) dans la salle?" avant de déchaîner son violon sur un petit air traditionnel juif d’Europe de l’Est.
Le prix "get down and boogie": The Herbaliser. Le groupe anglais, de plus en plus live, a offert le meilleur show de la série de fin de soirée au Club Soda. Funky, plein, énergique, irrésistible.
(L’anti-)diva: Lauryn Hill. Quand elle chante, seule à la guitare, sa voix en impose et Lauryn semble être le centre de l’univers. Lorsqu’elle parle (trop, comme toujours), elle redevient une simple mortelle, riant de ses blagues plates et échangeant avec les spectateurs. Une performance sympathique et décontractée.
L’outsider: Daniel Lanois. À quelques mois de la sortie de son prochain disque (qui arrive en octobre), notre (désormais) lointain compatriote ("I’m from these parts, you know", a-t-il tenu à préciser) a prouvé que les meilleures chansons tiennent parfois à peu de choses. Des accords simplissimes, mais une force incroyable à la guitare et des chansons d’Acadie à la pelle (dont les francos Ô Marie et Jolie Louise, et Under a Stormy Sky) ont soudé des liens déjà solides avec un public vendu d’avance.
La performance la plus étourdissante du festival: Tabla Beat Science. Un groupe hallucinant, un show événementiel que seuls des festivals de grande envergure peuvent se permettre, qui a permis de constater que le joueur de tablas Zakir Hussain est en fait Dieu ou encore un extraterrestre, ce qui revient au même.
En vrac: On a bien aimé les sympathiques papys des Cool Crooners, qui tiennent plus des Platters que du Buena Vista Social Club à qui on les compare sans cesse; on a retripé sur Bumcello, on a bien groové avec NoJazz, on a ondulé dans la fumée avec High Tone, et il nous reste encore cinq jours…