Ziggy, il s'appelle Ziggy… » (air connu)
Notes de passage

Ziggy, il s’appelle Ziggy… » (air connu)

Ziggy Stardust a eu 30 ans cet été. L’anniversaire mérite d’être souligné: lorsque le Martien androgyne aux cheveux orange s’est posé dans le paysage rock en 1972, il allait transformer à jamais l’idée qu’on se faisait du rock. Rien de moins.

Pour marquer le coup, on vient évidemment de lancer une édition commémorative «de luxe» (qui est au moins la quatrième version CD de cet inusable classique à se frayer un chemin sur les tablettes de ma discothèque), un album double à nouveau «remasterisé numériquement» contenant quelques inédits, des chutes de studio et des faces B déjà bien connues des fans de longue date.

Mais, comme on le constatera dans le très complet livret qui l’accompagne, l’importance de ce disque transcende de loin son apport à la musique pop (bien qu’il rassemble certaines des meilleures compositions de Bowie, comme Moonage Daydream, Suffragette City et autres). Ziggy marque aussi la naissance du véritable talent de David Bowie: celui de la mise en scène. Album-concept ambitieux et théâtral, c’est certainement l’un des meilleurs disques rock sur le rock (et n’essayez surtout pas de me convaincre que The Wall mérite ce titre). The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars propose en fait une mise en abyme prophétique dans laquelle David (Jones) Bowie, qui vivait alors avec sa femme Angie dans une chambre d’hôtel miteuse à 7£ la semaine, s’est mis dans la peau d’une rock star interplanétaire venue sauver le monde avant l’Apocalypse. Si l’on se fie à Five Years, le morceau d’ouverture, la fin du monde aurait dû arriver en 1977. Là-dessus, Bowie s’est peut-être planté; mais pour ce qui est de devenir une icône du rock – voire un messie -, il a vu juste. «I could make a transformation as a rock n roll star / So inviting – so enticing to play the part / I could play the wild mutation as a rock n roll star», chantait-il sur Star; c’est précisément ce qui est arrivé à l’homme qu’on a baptisé plus tard le caméléon.

Vaguement inspiré de la vie du rocker givré et fou de Dieu Vince Taylor, ainsi que par une foule d’autres idoles de Bowie (de Lou Reed à Iggy, en passant par Hendrix), Ziggy aurait pu crouler sous le poids de sa propre ambition démesurée et de ses références. Bowie avait déjà amorcé son entreprise de cannibalisation depuis quelque temps: sur Hunky Dory, paru à peine six mois avant la sortie de Ziggy, il rendait déjà hommage à Dylan, mais surtout à Warhol, à Lou Reed et à toute la clique de la Factory. Cette fois, il laissait son admiration pour les Velvets et Iggy Pop influencer ses musiques. Le génie de Mick Ronson, le guitariste des «araignées martiennes», a permis d’amarrer le concept de Bowie à des riffs incendiaires aujourd’hui instantanément reconnaissables (qui ne pourrait reconnaître l’intro de Ziggy Stardust?).

Tout important fut-il, Ziggy aura eu une existence brève. Si le personnage a collé à la peau de Bowie et qu’il a grandement influencé ses créations suivantes (Alladin Sane, le Thin White Duke et le personnage du film de Nicholas Roeg, The Man Who Fell to Earth), il n’aura officiellement vécu qu’un an. On peut d’ailleurs entendre Bowie, sur David Live (un disque composé de divers enregistrements en concert), lancer aux spectateurs médusés du Hammersmith Odeon le 3 juillet 1973: «Not only is this the last show of the tour, it’s also the last show that we’ll ever do» avant de se lancer dans la pompeuse mais sublime Rock n Roll Suicide. Bowie, qui avait compris comment manipuler les médias depuis son coming out au Melody Maker peu de temps avant («I’m gay; always have been, always will be»), venait simplement de mettre à mort un alter ego devenu envahissant – voire menaçant pour sa santé mentale – en s’assurant de faire la une de tous les journaux.

Pour toutes ces raisons, est bien d’autres encore, The Rise and Fall. Est l’un des albums les plus étudiés de la pop, et ses exégètes se livrent parfois à des analyses pour le moins farfelues. Un site Web aussi génial que détaillé (www.5years.com) lui est d’ailleurs exclusivement consacré. Parmi les propositions les plus intéressantes qu’on y retrouve, il y a celle voulant que Ziggy soit un album d’inspiration biblique. Les références religieuses y abondent en effet; et en écoutant l’histoire de ce «messie lépreux au cul divin» descendu du ciel, le fan obtenait l’intime conviction d’appartenir au peuple élu qui serait sauvé de l’Apocalypse. Trente ans plus tard, on peut presque y croire. Vous connaissez beaucoup de disques de Jennifer Lopez ou de Creed qui peuvent faire ça?

David Bowie
The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars – 30th Anniversary 2CD Edition (EMI)