Je l’avoue, je me la suis coulée douce en ce début de FrancoFolies. Vendredi, le dilemme était de taille: aller groover avec Daniel Bélanger au Métropolis ou fuir le site des célébrations francofolles pour aller saluer le retour des Breeders? Les deux pieds bien plantés au Café Campus, je n’ai pas eu à regretter mon choix. Malgré une trop longue absence, les soeurs Kim et Kelley Deal ont su nous donner l’impression de n’être jamais parties. Un concert aussi bruyant que convivial, durant lequel les deux dames se sont échangé blagues stupides et bitcheries sororales avec la complicité d’un public délirant d’enthousiasme. Avec l’addition de musiciens de Fear à la batterie et à la guitare, le son des Breeders, comme l’avait annoncé Kelley Deal à mon collègue Olivier, a pris du coffre. Bref, c’était parfois tout croche, mais ça ne manquait pas de punch. Et Cannonball, comme disent les Français, c’est toujours de la bombe, même après 10 ans et une utilisation abusive dans une campagne de bière.
Mon premier véritable contact avec les Francos, c’est au party des Loco Locass que je l’ai vécu. Si l’intro de cette soirée-événement tenait plus du manifeste que du festif, on a passé une sacrée soirée en compagnie des rappers militants. Mais une question me tarabiscote: si les Loco sont censés représenter le renouveau de l’esprit nationaliste, pourquoi diable s’acoquinent-ils avec ce vieux réac de Pierre Falardeau, qui a lancé le bal en débitant sur scène son habituelle rengaine sur la Conquête et sur les ignares qui salissent le bon nom du chanoine Groulx? Passons… Si la première partie fut alourdie par le barbu démagogue et l’amarrage parfois difficile des invités spéciaux (en particulier le numéro du podorythmiste et harmoniciste Alain Lamontagne), dans la seconde, Urbain Desbois fut chaudement accueilli avec sa chanson Le Pain, et Mononc’ Serge a tout déchiré avec Canada Is Not My Country, mordante à souhait, qui n’a pas manqué de générer un certain malaise en raison de la projection d’images superposées du PQ et de défilés nazis. Mentionnons d’ailleurs l’excellent travail de manipulation d’images de Francis Laporte, malheureusement souvent gâché par l’éclairage, qui rendait parfois ses projections quasi invisibles. Mais dans l’ensemble, au terme de ce concert-marathon de trois heures, les Loco peuvent crier "mission accomplie!". Ils peuvent maintenant se retirer en beauté pour préparer leur prochain album, qui, si l’on en juge par cet hommage à Riopelle et la présence de Vincent "Freeworm" Letellier sur scène, pourrait afficher des influences techno.
Le show des Loco était tellement long qu’on a pu se permettre quelques incursions à l’extérieur, notamment pour goûter à nouveau au concentré de bonheur de Mara Tremblay, rayonnante derrière son ventre qui cache un deuxième Monsieur Balloune et très rock, en comparaison du spectacle intimiste qu’elle avait donné avec sa choriste Annabelle Langevin au Festival d’été de Québec. On a aussi fait un saut dans un Spectrum quasiment vide, qui nous a fait réfléchir sur les aléas de la série Hip-Rap-Rock. Qu’est-ce qui cloche? Sûrement pas le prix des billets, raisonnablement fixé à 8,50 $. Est-ce que les concerts ont lieu trop tard pour la moyenne des ours (23 h)? Sûrement. Est-ce que le fait que la plupart des groupes qui y jouent peuvent être vus gratuitement à l’extérieur, généralement à des heures plus raisonnables, a un impact négatif? Certainement. Mais il faut avouer que dans de rares cas, la stratégie de présenter les groupes en extérieur avant leur passage au Spectrum a porté ses fruits: pensons à la première visite de Saïan Supa Crew chez nous, par exemple, pour qui le bouche à oreille avait fait des miracles.
Mais ça ne marche pas pour tout le monde: c’est donc devant une centaine de personnes que les Français d’In Vivo ont donné tout ce qu’ils ont pu, proposant une version actualisée du rock fusion avec une pêche d’enfer et un sitar endiablé. Le lendemain, pour le doublé Catherine Durand-Luke, c’était pire encore. Tout juste si on ne voyait pas le vent de la plaine souffler sur le plancher du Spectrum. Dans le cas d’In Vivo, comme pour Luke, doit-on blâmer les programmateurs qui les ont cueillis un peu trop tôt dans leur carrière, ou pointer du doigt les compagnies de disques, qui s’entêtent à ne sortir les albums des groupes français invités que le jour de leur concert, voire pas du tout?
Et puis il y a eu Monsieur Henri, bien sûr. Un vrai pro et un faux modeste, qui nous a déclaré être tellement fainéant qu’il allait nous interpréter une chanson sans paroles. Lorsqu’il s’est lancé dans une interprétation de La Fille d’Ipanema, on a pu constater qu’il nous mentait en pleine face, son scat étant 10 fois plus complexe que s’il l’avait interprétée en portugais. C’est ce que je retiendrai de ce concert (outre la magique interprétation de Syracuse), dont on a déjà vanté partout l’habile mélange de fraîcheur et de nostalgie: non seulement Henri Salvador possède-t-il une voix d’une pureté irréprochable, mais il sait faire preuve d’une intelligence musicale étonnante, même si sa main droite est forcément moins agile à la guitare. Quant à son côté théâtral, il n’est pas mal non plus, mais après avoir vu le même concert deux fois en France, je peux vous garantir que ses blagues à 2 francs dignes d’un music-hall des années 50 finissent par nous détourner de son véritable talent de crooner. Cet homme est un monument, ça ne fait aucun doute. Et sur l’échelle du récent délire gériatrique médiatique, où l’on s’extasie de la moindre descente d’escalier par le souverain pontife, son concert devrait être considéré comme l’équivalent moderne de Jésus marchant sur les eaux.