Notes de passage

Pas lonesome Cowboys Québécois de souche

Un phénomène. Samedi dernier, au stade du parc Jarry, mon collègue Parazelli et moi, à court de mots pour décrire ce qui était en train de se passer sous nos yeux ébahis, ne pouvions qu’en constater l’ampleur. Un vrai phénomène, un moment historique, diront certains, un événement quasi paranormal, si vous voulez mon avis. Ils étaient, selon les chiffres officiels, près de 8000 à s’être déplacés pour le concert-événement de l’année mettant en vedette Les Cowboys Fringants. Pensez-y un instant: pas 8000 badauds attirés par hasard dans un festival gratuit; des fans, des vrais, qui connaissent par coeur toutes les paroles de leurs petits hymnes tragicomiques au monde ordinaire. Huit mille jeunes exaltés qui, plutôt que de se laisser berner par les idoles préfabriquées que les majors tentent de leur faire avaler comme autant de couleuvres siliconées, ont choisi de s’identifier à un petit groupe indépendant qui fait son chemin par le bouche à oreille. Huit mille spectateurs qui ont choisi pour idoles ces quatre gars et cette fille qui sont l’incarnation même de l’"ordinaireté".

Car on n’aime pas Les Cowboys pour leurs costumes flamboyants (à moins qu’on ne considère le paréo du batteur Dominique Lebeau comme tel), pour leurs belles gueules ou même pour leur impressionnante technique. Car si Jean-François Pauzé, guitariste et compositeur du groupe, possède un sérieux talent pour les refrains accrocheurs, et si la violoniste Marie-Annick manie l’archet et le sourire dévastateur avec la même dextérité, le groupe de Repentigny n’a rien d’une bande de virtuoses. Et même si (ou peut-être parce que) le chanteur Karl Tremblay a la souplesse vocale d’un camion 18 roues, c’est une star, un modèle. Parce qu’il ressemble à votre frère, à votre cousin, ou au gars qui travaille au dépanneur du coin; et parce qu’il chante comme une casserole, les fans des Cowboys chantent avec lui du début à la fin. Après tout, si ce gars-là peut le faire, pourquoi pas moi?

Il fallait les voir, massés sur le court central dont les barrières de sécurité, retenues par une armée de gardiens, menaçaient de céder à tout moment. Malgré les appels au calme de Karl, les fans étaient déchaînés.

Avec leur habile mélange de tounes de party, dont le violon ne manque jamais de faire vibrer la corde folklorique du public local, et de textes tantôt rigolos, tantôt engagés (en particulier sur les chansons de leur récent Break syndical), Les Cowboys sont devenus, en l’espace de quelques années, le plus gros band au Québec, rien de moins. Honnêtement – et je ne dis pas ça à la légère -, on n’a pas vu pareil engouement pour un groupe depuis les belles heures des Colocs ou de Leloup.

Québécois de souche
Pour expliquer cet engouement massif, il faut aller au-delà de la simple analyse musicale. S’ils touchent une corde sensible auprès des jeunes Québécois, c’est avant tout parce que Les Cowboys incarnent à merveille la québécitude, dans toutes son exubérance et ses contradictions. Leurs chansons, souvent de véritables hymnes aux gens du peuple (Marcel Galarneau, Maurice au bistro), foisonnent de références culturelles bien locales (notamment à Ron Fournier, animateur des Amateurs de sport) et témoignent de cette ambivalence politique bien de chez nous. Car bien qu’ouvertement nationalistes, Les Cowboys ne lancent pas d’univoques "Vive le Québec libre!" du haut de leur tribune. Lorsqu’ils chantent Québécois de souche, c’est pour se moquer des soi-disant défenseurs de la langue française qui s’expriment à coups d’anglicismes. Et lorsqu’ils ont entamé En berne, dont le refrain en forme de slogan ("Si c’est ça l’Québec moderne, moi j’mets mon drapeau en berne") était imprimé au dos des innombrables t-shirts vendus ce soir-là, les deux spectateurs qui agitaient fébrilement un fleurdelisé et un drapeau des Patriotes ne savaient plus que faire de leurs bannières.

En raison de leur caractère irrépressiblement québécois (l’affiche de ce concert, qui proposait en complément de programme le vénérable Plume, le Henri Band et l’humour absurde des Denis Drolet ne faisait que renforcer cette impression), Les Cowboys Fringants ne semblent pas destinés à connaître la gloire internationale. Mais ce samedi soir, au parc Jarry, ils avaient toutes les raisons de se croire les rois du monde. Alors qu’ils regagnaient les loges par une passerelle située à l’extérieur du stade, les héros de la soirée ont été à nouveau acclamés par des milliers de fans en délire avec l’enthousiasme spontané qu’on ne réserve qu’aux plus grands.

Si on avait pu prévoir pareil dénouement, lorsque l’on avait consacré Les Cowboys "Nouveau Visage de l’année" il y a deux ans, on jouerait plus souvent aux courses de chevaux.