Notes de passage

Bananes flambées, Nicola et autres consolations…

À quoi reconnaît-on l’arrivée de l’automne à Montréal? Au rougeoiement des feuilles, à l’air qui se rafraîchit et aux journées qui raccourcissent? Meuh non… au simple fait que vous pouvez vous taper un show de qualité peu importe le soir où vous décidez de mettre le nez dehors.

Une semaine typique peut ainsi vous amener du noise-pop japonais à la chanson latine, avec un bref détour par une légende de la pop française, et vous n’auriez là qu’un bref échantillon de la palette de sons proposée.

Le week-end a commencé dans le bruit et la fureur avec le quartette nippon Melt Banana, qui, porté par le torrent d’éloges qui s’est abattu sur lui à la suite de sa performance à Victo, a rempli sans peine le minuscule Jupiter Room, un endroit où l’on sue plus qu’on ne voit la scène. Ainsi, on a entendu plus que vu la chanteuse Yako, courte sur pattes mais forte en cris, qui s’époumonait sur les tourbillons épileptiques du guitariste Ata, puce sauteuse vêtue d’un masque chirurgical si courant dans les rues de Tokyo. Du hardcore brutal ponctué d’assauts bruitistes impitoyables, mais servi sur un fond pop qui rend ce groupe drôle et dérangeant à la fois. L’un des shows les plus punk que j’aie vus depuis longtemps, qui s’est achevé par une reprise bien sentie de My Generation des Who. On avait mal aux oreilles et le week-end s’annonçait bien.

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Lundi soir, en sortant du bureau, j’aurais dû aller voir le mélancolique Ron Sexsmith s’exécuter dans l’intimité du Cabaret, mais j’ai d’abord opté pour un petit détour par le Spectrum, histoire de prendre au vol quelques pièces de la "nouvelle mouture" d’Indochine, qui y donnait son deuxième spectacle montréalais.

On s’attendait à rigoler un brin puis à fuir ces idoles déchues, mais on a fini par rester scotchés là toute la soirée, stimulés à la fois par la dévotion d’un public vendu d’avance et par la présence magnétique du chanteur Nicola Sirkis. L’homme n’a toujours pas une voix exceptionnelle (bonjour l’euphémisme!) mais qui s’en soucie lorsque le public est prêt à chanter chaque mot de Tes yeux noirs ou Trois nuits par semaine? Résolument plus rock, la bande à Sirkis s’est donnée à fond, surprenant avec un medley quasi métal de vieux succès (Des fleurs pour Salinger, Canary Bay, Les Tzars), sorte de fleur aux fans de la première heure mais aussi une déclaration d’intention de la part d’un groupe qui mord maintenant dans les guitares à belles dents. En prime, on a eu droit ce lundi à une apparition-surprise de la homegirl Melissa Auf der Maur, venue lui prêter main-forte sur la chanson Le Grand Secret, malheureusement l’une des compos plus bancales de l’album Paradize. Au bout du compte, toutefois, on doit parler de la belle surprise de la semaine.

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Au Lion d’or, mardi soir, on se serait cru dans un mariage italien. Sur scène, un chauve baraqué, arborant le maillot de la squadra azzura, s’époumonait sur O Sole Mio sans la moindre trace d’ironie. Après observation, le type en question s’est révélé être nul autre que Marco Calliari, chanteur de la formation métal Anonymus! Avec une trompettiste et sa guitare acoustique pour seuls accompagnements, Marco a livré un set pour le moins bizarre, où ses propres compositions dans la langue de Paolo Conte se mélangeaient à d’éclectiques reprises (de Van Morrison à… Blonde Redhead adapté en italien!) et à ce qui ressemblait à des extraits d’une compil Greatest Italian Melodies. Un peu trop éparpillé à mon goût, mais on en saura plus long lorsque Marco lancera son album solo entièrement composé dans la langue de ses ancêtres.

Suivirent les têtes d’affiche, Tomas Jensen et ses Faux Monnayeurs, qui se sont installés doucement sur scène avec une intro orientale qui n’était pas sans rappeler la collaboration entre Eddie Vedder et le regretté Nusrat Fateh Ali Khan. Le Franco-Québéco-Argentin Jensen, particulièrement bien secondé par les multi-instrumentistes Nemo Venba et Pierre Emmanuel Choizat, s’est ensuite lancé dans sa recette unique de chanson tzigane franco-latine engagée (alouette!), et l’intimité du Lion d’or permettait de mieux saisir les innombrables trouvailles langagières moins évidentes lors de son show en extérieur aux Francos.

La deuxième partie, consacrée aux numéros plus swinguants et plus latins, a tout de même révélé quelques surprises, notamment une nouvelle composition intitulée La Mitraille, où l’ambiance du champ de bataille fut rendue dans un jam bruitiste d’une violence et d’une précision remarquables. Un Jensen plus noir? N’en faites pas de cas: Jensen s’avère l’un des antidotes les plus sûrs à la déprime automnale. Chaleureux, drôle et entraînant, son spectacle se poursuit tous les mardis du mois d’octobre, ce qui, si vous faites le calcul, vous laisse encore deux occasions d’en profiter.