Notes de passage

Billy-le-rouge

"À quoi il ressemble, ce Billy Bragg?" m’avait demandé, avec un air vaguement inquiet, l’amie qui m’accompagnait ce soir-là au Club Soda. "Tout ce que je sais, c’est qu’il est gauchiste…" Présenté comme ça, ça pourrait sembler peu invitant. Qui voudrait payer pour se faire sermonner par un José Bové glabre armé d’une guitare et d’un accent d’East London? Qui pourrait considérer comme de l’entertainment de qualité l’équivalent musical d’un meeting de l’UFP? Mais Billy Bragg, c’est beaucoup plus que ça… Pour être gauchiste; il l’est, tendance marxiste-humaniste un chouïa désuète, pour être précis. Billy-le-rouge, comme on l’a souvent appelé, est le genre de protest singer que seule l’Angleterre ultraconservatrice de Margaret Thatcher pouvait produire. Il a été le héraut des grèves de mineurs, le chantre de l’antimondialisation, et l’âme des tournées Red Wedge (Coin Rouge!) des années 80.

Ce qui le rend si attachant, c’est que Bragg, pour reprendre le titre de l’une de ses chansons, est un "socialiste du cour". Un type qui chante l’engagement social avec une fougue amoureuse et qui parle d’amour avec une dévotion quasi politique. Bragg est un être humain à la fois engagé et extrêmement drôle (les concerts en solo donnent toujours lieu à des monologues hilarants), qui sait tempérer ses discours militants par des confessions intimistes belles à faire pleurer (son interprétation de la chanson Brickbat, sur les petits plaisirs et travers de la vie de famille, a apporté une touche d’émotion bienvenue).

Presque seul sur scène (il était accompagné, à l’occasion, de l’un des membres de son groupe The Blokes, le légendaire claviériste des Faces Ian McLagan), Bragg a si bien chanté que ses tirades contre le méchant capital sont passées comme une lettre à la poste. Bien sûr, Bragg peut être insupportable, surtout lorsqu’il s’entête à placer des mots aussi poétiques que FMI, OMC et imputabilité dans la même chanson (No Power Without Accountability, l’une des raisons principales pour détester son plus récent disque, England, Half English), et sa nouvelle composition contre la guerre en Irak (The Price of Oil, qui nomme Bush, Saddam et Ben Laden dans son refrain) avait la charge poétique d’un manifeste de la 5e Internationale. Et bien sûr, Bragg prêche aux convertis. Mais son message est non seulement pertinent, il est conséquent. Lors de son concert de jeudi, il a joint l’acte à la parole. Après avoir interprété The Price of Oil, qui devrait se retrouver sur une compilation anti-guerre d’ici quelques semaines, il a balancé une dizaine de CD dans la salle, enjoignant à tous ceux qui les avaient attrapés au vol de les copier et de les distribuer gratuitement sur Internet. Pirates de tous les pays, unissez-vous. Parlez-moi d’un geste révolutionnaire.

Vulgaires et populaires
Samedi soir dernier, au Spectrum, on aurait pu croire qu’on assistait à un concert de Ten Foot Pole ou de Bad Religion, tant l’endroit était plein à craquer de jeunes fans de punk en délire. Rien d’étonnant, si ce n’est que le groupe qu’ils étaient tous venus applaudir était une petite formation locale, Les Vulgaires Machins. Je vous laisse lire le compte rendu que mon collègue Parazelli a fait du concert en page de "scène local" mais j’en profite pour m’étonner (avec bonheur) de la résurgence de groupes indépendants locaux dans le cour des jeunes fans de musique québécois. Depuis les vénérables Grimskunk et Groovy Aardvark, on n’avait pas vu autant de jeunes groupes d’ici toucher une corde sensible chez un aussi large public. Qu’ils soient d’obédience punk (Les Vulgaires Machins, Les Marmottes Aplaties) ou plus pop (Les Cowboys Fringants), des groupes d’ici, qui parlent le langage d’ici, touchent la jeunesse d’ici. On n’est pas chauvins, mais ça fait quand même du bien.

Parlant des Cowboys, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de leur avoir remis le trophée de l’album alternatif de l’année lors du gala hors d’ondes de l’ADISQ. Avec les quelques dizaines de milliers de copies de Break syndical qui se sont écoulées depuis sa parution, avec un stade Jarry rempli à pleine capacité et une tournée montréalaise (!) de six dates culminant par un Spectrum et un Métropolis à venir dans quelques semaines, Les Cowboys sont, sans aucun doute, le groupe le plus populaire au Québec en ce moment. Un groupe pop, dans le sens le plus noble et unificateur du terme. Pourrait-on, s’il vous plaît, les sortir de l’alternatif?