Notes de passage

I represent rien pantoute…

Doit-on se réjouir ou s’inquiéter du raz-de-marée Bélanger lors de ce dernier Gala de l’ADISQ? Peut-on être contre la vertu? Sous l’influence bénéfique d’un exceptionnel alignement de planètes, il se trouve que le public et l’industrie étaient, pour une rare fois, sur la même page. L’un des artistes les plus populaires au Québec ne donne pas dans la guimauve, ne chante pas des textes de Plamondon et ne se prend pas pour un comédien. Tant mieux et profitez-en pendant que ça dure… Mais faut-il saluer l’ADISQ ou plutôt le public pour son bon goût? Les deux, même si, dans un geste ménageant la chèvre et le chou, le peuple a couronné, ex æquo, Garou et Bélanger dans la catégorie interprète masculin de l’année, histoire de nous rappeler que les variétés tiennent toujours le haut du pavé.

On ne s’étendra pas ici sur le mauvais goût des tenues de nos "veudettes", ni sur la platitude de leurs remerciements (pourquoi ne pas remettre un Félix spécial à Isabelle Boulay dans la catégorie du discours le plus long et le plus ennuyeux de l’année?) et encore moins sur la performance de l’animateur Guy A. Lepage. Vous étiez près d’un million et demi cloués devant vos téléviseurs, alors on ne vous refera pas la liste complète des nominés.

Qu’est-ce qu’on a donc retenu de cette édition 2002 de la grande kermesse de la musique québécoise?

On a vu des Cowboys Fringants un peu mal à l’aise, visiblement nerveux de jouer pour un si large public qui, contrairement aux milliers de fans qui viennent les applaudir depuis la parution de Break syndical (l’album "alternatif" de l’année, qui s’est écoulé à plus de 50 000 exemplaires, faut-il le rappeler), n’était pas gagné d’avance. Un peu écrasés sous les projections en boucle de drapeaux fleurdelisés (quelle imagination!), ils ont livré une version rageuse d’En berne. Après avoir vu Les Respectables leur ravir le titre de groupe de l’année, le refrain "Si c’est ça l’Québec moderne, moi j’mets mon drapeau en berne" semblait on ne peut plus approprié.

On a aussi eu la décence d’inviter Jescze Raz, l’un des meilleurs groupes live au Québec, mais non sans les traiter comme une véritable curiosité ("Regardez comme on est gentils et ouverts, on a invité un Polonais!").

Et il y eut bien sûr 2 Faces le Gémeaux, du 83, clique de hip-hoppers de Québec, qui est venu foutre la merde en réclamant plus de visibilité pour le genre auquel il se consacre. Un geste amusant, mais on est en droit de s’interroger sur le véritable fond de cette intervention. S’agissait-il de représenter l’ensemble du mouvement ou simplement de venger cette défaite crève-cour aux mains de Dubmatique, clairement le groupe le moins méritoire de la catégorie hip-hop, célébrée hors d’ondes? Les gars du 83 auront au moins atteint leur but: se faire connaître. Maintenant, même votre maman sait qu’il existe du hip-hop au Québec. Avec un peu de chance, cette science nouvellement acquise la qualifiera peut-être pour participer au vote dans cette catégorie l’an prochain. Au lendemain des événements, Jacques K. Primeau, président de l’ADISQ, s’est publiquement interrogé sur la façon de faire un peu brutale des rappers, jugée irresponsable un peu plus d’un an après les événements du 11 septembre. Si vous voulez mon avis, ce n’est pas au 83 de porter l’odieux de cette situation, c’est à vos propres services de sécurité qu’il faut vous en prendre.

Quoi d’autre encore? On retiendra le touchant panégyrique de Guy A. Lepage à l’endroit de Sylvain Lelièvre, l’hommage bon enfant à Mononk Plume (qui a accepté le trophée en remerciant tout le monde pour "ce Philippe") et ce sympathique numéro chanté par Guy A. et Sylvie Moreau. Que peut-on espérer pour l’an prochain? Que Jean Leloup sorte son album à temps et que les planètes lui soient favorables.