Notes de passage

Parlez-moi des femmes

J’aurais pu vous parler de Coup de cour francophone ou d’Elektra, deux festivals excitants qui battent leur plein jusqu’à la fin du week-end; me servir du premier pour débattre de la place de la chanson française au 21e siècle ou du second pour explorer le (non-)rapport artiste-public dans les shows de laptops (mon collègue Étienne s’en charge à ma place dans sa chronique BPM). J’aurais même pu me pencher sur les mémoires de Kurt Cobain, mais je n’ai pas lu son journal intime, et je n’ai rien de bien bon à dire de cette très oubliable pièce inédite qui sert à vendre le récent greatest hits posthume de Nirvana.

Je n’en ferai rien. Pas parce que je suis blasé, mais parce que ma tête est ailleurs depuis que je suis allé voir 8 Mile, qui, sans être un chef-d’ouvre du septième art, m’a donné l’irrépressible envie de rapper des idioties devant mon miroir tel un Eminem de seconde zone. Et ça tombe bien, parce que j’avais du hip-hop de qualité à me mettre sous la dent cette semaine. Pas le nouveau Jay-Z, pas même la bande originale de 8 Mile (quoique la pièce d’Eminem soit assez irrésistible); ce qui fait vibrer ma fibre de wigger en ce moment s’appelle Under Construction, le plus récent disque de l’hallucinante Missy Elliott.

Impossible de ne pas saluer le retour de cette voix essentielle dans un genre excessivement machiste, voire misogyne. Bien sûr, la voix hyper sexuée de Missy ne plairait certainement pas à Andrea Dworkin et ses partisanes. Trop cochonne, trop crue dans sa façon d’aborder la sexualité. "Pourquoi suis-je vulgaire? me demande-t-on souvent. Parce que les mecs ont trop longtemps parlé de nous faire jouir dans leurs chansons. Il fallait bien qu’on leur explique comment y arriver", lance-t-elle en substance dans l’un des interludes parlés de l’album, avant de conclure: "I be representing the ladies…"

En discutant avec une collègue de travail de la valeur intrinsèque du travail de Missy, je me suis demandé en quoi son post-féminisme joyeusement lubrique se différenciait de l’attitude de Christina Aguilera, qui subit présentement les foudres des bien-pensants (et le foutre des autres) avec son vidéo soft porno pour la chanson Dirrty. Bonne question.

Comment se fait-il que Missy inspire le respect et que Christina se fasse immanquablement traiter de salope?

Est-ce simplement parce que l’une est black et l’autre pas? Irrecevable. Parce qu’appliquer cette forme de relativisme culturel équivaudrait presque à accepter l’hymne au gang bang de Snoop Dogg comme une particularité de l’esprit afro-américain.

Est-ce parce que l’une a l’air d’une vraie femme et que l’autre semble à peine sortie de la puberté? Là, on approche du but. On a peine à croire que cette petite marionnette de Christina puisse être consciente de ses actes. Mais là aussi, on ferait preuve de mépris.

En fait, c’est beaucoup plus simple que ça. Missy, avec l’aide du producteur de génie Timbaland, a créé certains des disques les plus essentiels du hip-hop contemporain tandis que Christina (qui a d’ailleurs essayé de bénéficier du talent de mademoiselle Elliott sur certaines de ses propres pièces) se cantonne dans une pop générique et préfabriquée dans laquelle l’image supplante la musique. L’une se sert de sa tête, l’autre de son cul. L’une est une artiste; l’autre, un produit. Point.

Je ne sais pas ce que tout cela veut dire, sinon que la question des relations hommes-femmes n’a pas fini de nous préoccuper. Et que cette semaine, l’irrésistible Funky Fresh Dressed d’une fille forte me semble beaucoup plus essentielle que ce restant de grunge qu’on voudrait nous faire passer pour le chef-d’ouvre perdu d’un suicidé. La semaine prochaine, on reviendra sur Coup de cour et Elektra, promis. En attendant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai rendez-vous avec Missy.