Notes de passage

Le péché originel

Je m’en voudrais de résumer les deux semaines de célébrations du sympathique festival Coup de cour francophone par un seul spectacle, mais si l’on devait se limiter à une soirée pour témoigner de l’esprit de cette fête, c’est vers l’Outrage aux Sinners qu’il faudrait se tourner. Samedi dernier, au Lion d’or, on a eu droit à un party intergénérationnel des plus réussis, avec des jeunes et moins jeunes rendant hommage (pardon, "outrage") à l’un des groupes les plus révolutionnaires et les plus méconnus de l’histoire de la pop québécoise. À mon avis, les festivals servent précisément à monter ce genre d’événements et l’audace de Coup de cour a encore une fois été récompensée.

Sur scène, des groupes de tous genres (des Breastfeeders à Loco Locass, en passant par Lucien Francour; difficile de faire plus éclectique) et quelques-uns des innombrables membres que le groupe a comptés dans ses rangs. Des moments typiquement Sinners, il y en eut à revendre: Alex Jones, de WD-40, reprenant les chansons les plus débiles du groupe (Y mouille à sciaux et Les Funérailles d’un ouaouaron) de façon tellement chaotique que le house band, dans lequel officiait l’ex-guitariste des Sinners Arthur Cossette, n’arrivait plus à le suivre. Le Nombre s’attaquant aux morceaux les plus politisés de la formation, dont Messieurs les jurés, chanson inspirée du manifeste du FLQ.

On pardonnera même à Lucien Francour son utilisation déplacée de ses propres chansons dans le jam fusionnant l’chien (avec l’hilarante participation de Jean-Robert Bisaillon et Richard Gauthier, des French B, dans le rôle des deux policiers ripoux) et Heavy. On a aussi vu Loco Locass dépouillant le classique Québécois de ses références trop "colonisées" à la tour Eiffel et réécrivant quelques couplets malheureusement inaudibles ("C’t’un outrage, après tout", prétexta le rapper Biz).

Et puis les vrais Sinners en personne, venus ajouter au chaos ambiant, à commencer par le batteur Louis Parizeau, qui a passé le plus clair de la soirée à crier à qui voulait l’entendre (parfois de façon impromptue au micro) qu’il était "le vrai Sinner" (avec raison, il fut, après tout, LE membre fondateur et le pilier de la formation). Ils se sont finalement tous retrouvés sur scène, les Alain Jodoin, Charles Linton et même le chanteur François Guy, qui avait manifesté son approbation en hochant la tête pendant la performance des Locos, venu se joindre au chour à l’exhortation d’un Tony Roman déchaîné. C’était tout croche et grandiose. Un moment parfaitement Sinners, quoi.

Un seul regret: j’ai manqué les Breastfeeders, véritable révélation de la soirée, paraît-il, et j’ai dû constater que personne n’avait eu les couilles de reprendre Go Go Trudeau. Bravo à Guylaine Maroist pour avoir orchestré le party de la saison et au patron de Coup de cour, Alain Chartrand, pour lui avoir laissé le champ libre.

Caetano le magnifique
La semaine dernière, mon collègue Ralph Boncy parlait de Caetano Veloso comme de "l’un des artistes les plus accomplis et les plus importants au monde". Lors de son passage dans une Salle Wilfrid-Pelletier malheureusement bien loin d’être pleine, le grand Brésilien lui a entièrement donné raison.

Dès son entrée en scène, on savait qu’on aurait droit à une performance bien différente de celle qui nous avait enflammés lors de l’édition 1999 du Festival de Jazz: Caetano et ses musiciens, tous sobrement vêtus de noir (la dernière fois, son escadron de percussionnistes de Bahia arborait un blanc éclatant), allaient nous livrer l’essentiel de son récent Noites de Norte, un album dense et souvent sombre. Malheureusement pour nous, la froideur de Wilfrid-Pelletier a failli avoir raison de l’ambiance.

Flanqué d’excellents musiciens, menés par l’arrangeur de génie Jacques Morelenbaum, qui distribuait d’hallucinantes harmoniques sur son étrange violoncelle électrique, Veloso a imposé en douceur sa voix sensuelle (durant son interprétation de Curucucu, tous mes poils se sont dressés au garde-à-vous) et ses rythmes complexes.

Veloso, c’est le chantre du Brésil dans toute sa diversité et ses métissages, de la bossa classique (lors d’un bref interlude, seul à la guitare, il nous a livré la jolie O Leãozinho et s’est payé une amusante version de Tu t’laisses aller d’Aznavour) aux expériences allant du hard rock (Rock’n’Raul) au rap (Haiti). C’est un cliché que de le dire, mais personne n’incarne mieux l’âme brésilienne que Veloso, capable de traduire ses faces lumineuse et sombre dans le même morceau.

Bref, à 60 ans, Caetano n’a rien perdu de sa pertinence. Il évoque à la fois la tradition et le renouveau, s’aventure sur des terrains contemporains sans jamais avoir l’air à côté de la plaque. L’un des artistes les plus accomplis du monde? Et comment…