Notes de passage

Jubilé d’argent

En 1977, la reine Élisabeth II célébrait ses 25 ans de règne et les Sex Pistols faisaient scandale avec leur incendiaire God Save the Queen. Si vous faites le calcul, le mouvement punk fêtait donc cette année ses propres 25 ans. Une occasion en or pour enfin faire paraître, 10 ans après sa sortie en anglais, la version française d’England’s Dreaming (Éditions Allia), la brique que le journaliste britannique Jon Savage a consacrée aux Sex Pistols et à l’ensemble du mouvement punk.

En près de 700 pages denses, Savage y décortique l’histoire de l’un des groupes les plus marquants de la pop, proposant de fascinants parallèles avec d’autres courants artistiques révolutionnaires, de la poésie romantique (il compare Johnny Rotten à Arthur Rimbaud) au dadaïsme, rejoignant les théories mises de l’avant par Greil Marcus dans son essentiel Lipstick Traces. Bien sûr, il peut sembler absurde que le punk, qui proclamait haut et fort que l’avenir n’existait pas et qu’il fallait détruire nos idoles, fasse aujourd’hui l’objet de thèses universitaires et se retrouve même compilé, analysé et relié dans la catégorie "beaux livres à 100 $" (on vous reparlera de l’excellent Punk., de Colegrave et Sullivan la semaine prochaine). Mais le livre de Savage est non seulement une biographie détaillée (voire maniaque) d’un groupe phare, c’est aussi une véritable entreprise d’analyse sociologique qui replace un courant musical dans son contexte historique avec une acuité peu commune. Un livre essentiel pour tous les fans du genre, à mettre d’urgence dans votre bibliothèque aux côtés de Lipstick Traces et du récent Nos années punk de Christian Eudeline (anecdotique, mais amusant pour découvrir l’impact du mouvement outre-Manche). Alors, à quand le musée du punk?

Le courrier des oreilles
La semaine dernière, dans une rare incursion dans la section cinéma du journal, je vous parlais de l’excellent documentaire Standing in the Shadows of Motown, qui jette un peu de lumière sur le travail des Funk Brothers, les hallucinants musiciens de studio qui participèrent à presque tous les enregistrements de la célèbre étiquette Motown durant les années 60. À cette époque, bien avant l’uniformisation technologique, on pouvait immédiatement différencier le "son Motown" (Detroit) du "son Stax" (Memphis) ou du fameux "wall of sound" du producteur Phil Spector (L.A.). Le message principal de Standing…, c’est que ce sont les musiciens, plus que quiconque, qui ont défini ces particularismes régionaux.

Or, voilà que Frédéric Billon, un lecteur particulièrement bien informé, vient foutre en l’air ces certitudes. Billon me demande mon avis sur la théorie de l’auteur Mark Cunningham, qui affirme, dans son livre Good Vibrations, a History of Record Production, que certaines des pièces les plus connues de Motown auraient en fait été développées par deux musiciens de L.A. associés au wall of sound de Spector (le batteur Hal Blaine et la bassiste Carol Kaye) et non par des gens de Detroit.

Sacrilège! Je ne suis pas un historien de la musique pop américaine, mais l’affirmation me semble étrange pour deux raisons. Le patron de Motown Barry Gordy, bien que renommé pour son sens douteux de l’éthique, a maintes fois affirmé (et Standing in the Shadows of Motown insiste là-dessus) qu’il refusait systématiquement de commencer une session d’enregistrement sans la présence d’au moins deux Funk Brothers, ce qui incluait presque systématiquement James Jamerson, considéré à juste titre comme l’un des plus grands bassistes de l’histoire de la pop américaine. Avec tout le respect que l’on doit à Carol Kaye (bassiste de grand talent ayant participé à des centaines d’enregistrements et véritable pionnière qui a su s’imposer dans une jungle mâle, on pourrait lui consacrer deux ou trois documentaires), il me semble absurde que Gordy ait pu la préférer à Jamerson pour travailler sur Baby Love ou Reach Out. Alors voilà mon avis, monsieur Billon, et mes excuses aux lecteurs qui considéreraient ce débat comme de l’enculage de mouches. Quant aux autres, si jamais il s’en trouve parmi vous à avoir une théorie sur le sujet, n’hésitez pas à m’écrire au [email protected].