Notes de passage

La maudite machine

C’était sans contredit l’événement de la semaine. Pour les fans, c’était même l’événement d’une vie, ou alors ça avait intérêt à l’être, du moins pour ceux d’entre eux qui avaient déboursé 130 tomates pour le privilège d’être assis au parterre. Mais le grand retour de Peter Gabriel au Centre insérez-le-nom-du-commanditaire-de-l’année-ici le valait bien, non? D’autant que Robert Lepage, le petit gars de chez nous qui avait déjà mis en scène la tournée précédente, était de nouveau aux commandes de cette aventure spectaculaire.

À notre arrivée dans le temple du hockey, en lieu et place du tableau indicateur, on a découvert une monumentale structure d’acier suspendue au-dessus d’une scène circulaire en apparence simple, mais qui recelait plus de trucs qu’un show de David Copperfield à Vegas. On était face à une grosse machine qui allait révéler ses secrets peu à peu et qui réussirait même à évoquer une certaine poésie qui faisait cruellement défaut à Zulu Time, le précédent show high-tech de Lepage. La vie, la mort et tout le bazar, les thèmes abordés dans l’album Up, étaient ici représentés par un enchaînement de cocons et de chrysalides mécanisés, ou de bulbes et de fleurs robotiques, au choix. Tout cela était fort joli et parfois extrêmement divertissant. Gabriel enfermé dans une bulle de plastique faisant le tour de la scène (un flash de génie), Gabriel chantant Solsbury Hill (qui est toujours une grande chanson, probablement ma préférée de la soirée) à cheval sur un vélo, pédalant à contre-courant de la scène circulaire en mouvement, Gabriel suspendu la tête en bas (un truc repris de l’un des tableaux de Zulu Time), c’était magnifique. Mais c’est à peine si je peux associer des titres de chansons à ces tableaux. Je m’inquiétais plutôt de savoir si l’ami Peter n’allait pas frapper le bassiste Tony Levin avec sa bicyclette, si les techniciens en habits orange (à qui Gabriel a rendu hommage pour leur rôle essentiel) n’allaient pas être écrasés sous une plate-forme mobile ou éjectés de la scène tournante.

La musique? Même magnifiées par l’expérience live, les chansons d’Up m’ont paru dénuées de la force rassembleuse de pièces comme Biko (pas entendue ce soir-là) ou les Sledgehammer, Red Rain et autres Mercy Street, toutes fort bien rendues avec l’aide d’un band impeccable. On ne peut certainement pas reprocher à Gabriel de ne pas être en forme, tant physiquement (toutes ces acrobaties, de la part d’un type dans la cinquantaine, ça force le respect) que vocalement (la voix est toujours aussi cristalline et pure); mais, par moments, on aurait voulu qu’il s’en tienne à l’essentiel. En quoi diable était-il nécessaire d’enfoncer les Blind Boys of Alabama dans le sol pour les remonter sur une plate-forme mobile si on sous-utilise leurs voix magnifiques? À quoi servaient ces deux Africains dansants mais inaudibles? En somme, le show de Gabriel souffrait, dans une bien moindre mesure, tout de même, de certaines des mêmes tares qui handicapaient Zulu Time: joli contenant, mais manque de contenu. Mais pour quelqu’un qui arrive à peine à mâcher de la gomme en marchant, le coup de la toune à bicyclette, c’était forcément impressionnant.

La maudite machine, bis
Le Show du Refuge, louable entreprise menée à bout de bras par l’infatigable Dan Bigras depuis 12 ans, a de nouveau fait salle comble au Métropolis, amassant quelques milliers de dollars bien nécessaires à la cause. La famille Bigras y était presque au grand complet (les Jalbert, Dufault, Hughes, Lebouf, etc.), interprétant des tounes fédératrices (du Brel, du Offenbach, du Raôul Duguay…). En vrac, on a entendu Garou chanter du Neil Diamond sans la moindre pointe d’ironie (sérieusement, quand on a une voix pareille, on interprète autre chose que des niaiseries comme Love on the Rocks); on a vu Bruno Pelletier, remarquable de retenue, emprunter la voix de Pierre Flynn, lequel viendrait le rejoindre pour interpréter La Maudite Machine. On s’est étonné d’entendre Le cour est un oiseau de Desjardins en espagnol, livré par Soraya Benitez; et on s’est dit que Marie-Chantal Toupin avait sûrement mieux à faire que de chanter du Piaf. On a eu droit à un essoufflant medley r’n’b interprété par Luce Dufault et Lulu Hughes (la star de la soirée), mais tout cela n’avait rien de bien étonnant. La plus grosse et plus agréable surprise, ce sont Laurence Jalbert et Luce Dufault qui nous l’ont donnée en entonnant You Shook Me All Night Long d’AC/DC. On ne crachera certainement pas sur cette machine hyper rodée et toujours divertissante que Bigras a développée au fil des ans; mais pour l’avenir, on pourrait souhaiter plus de numéros de ce genre. Et des surprises, des vraies. Tiens, pourquoi pas Garou chantant du Tom Waits? France d’Amour en Brigitte Bardot, ou que sais-je? Et pourquoi ne pas inviter quelques jeunes? Tiens, comme ça, Les Breastfeeders ou Le Nombre, qui ont brillé lors de l’Outrage aux Sinners, ou encore Les Cowboys Fringants, qui auraient pu mettre le feu à tout ça?