Notes de passage

J’aurais voulu être un artiste

C’est un conflit typiquement québécois, en ce sens qu’il court dans tous les sens pour aller nulle part. Pour peu que vous ayez feuilleté les pages culturelles des quotidiens (et celles de votre hebdo préféré) au cours des dernières semaines, vous avez sûrement froncé les sourcils d’incompréhension devant l’interminable saga opposant la Guilde des musiciens aux petites salles de spectacle, aux musiciens "émergents" et même aux membres de son propre exécutif.

La récente assemblée générale de la Guilde, qui aurait dû s’avérer le clou final dans le cercueil de son indélogeable président, Émile Subirana, s’est transformée en vaudeville procédurier et le combat des opposants est tombé à plat. Confiant de sa légitimité pourtant fragile, Émile Subirana a, une fois de plus, raté une bonne occasion de se taire en étalant le profond mépris qu’il nourrit à l’endroit des musiciens "amateurs et marginaux" qui sont à l’origine de la grogne contre son organisme et qu’il considère comme une chienlit indigne de porter le titre "d’artistes professionnels".

En attendant, certains mécontents, vilipendés par Subirana pour leur "maladroite ingérence", proposent de se regrouper sous la bannière d’un nouvel organisme, baptisé l’AMAQ (Association des musiciens autonomes du Québec), qui espère être reconnu sous peu par la CRAAP (Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs). Un pas dans la bonne direction.

D’un côté, Subirana s’enlise dans le fossé qu’il a creusé entre ce qu’il juge être la "vraie" et la "fausse" culture et s’entête à considérer tous les musiciens non symphoniques comme de vulgaires dilettantes. De l’autre, on sent malheureusement monter un inquiétant sentiment anti-syndicaliste chez les jeunes musiciens mal desservis par la seule association professionnelle de musiciens reconnue.

Pendant ce temps, chez nos cousins français, un véritable débat de société fait rage sur le statut de ce qu’on appelle là-bas les "intermittents du spectacle". Ici, on coupe les cheveux en quatre en se querellant sur le respect du quorum dans les assemblées et autres vices de procédure. Là-bas, les artistes et artisans du spectacle se battent bruyamment pour leurs conditions de vie et leurs prestations d’assurance-chômage en organisant des manifs et des occupations de théâtres. Pourrait-on, nous aussi, s’attaquer aux vrais problèmes, quitte à rouvrir la boîte de Pandore en révisant de fond en comble la Loi sur le statut de l’artiste?

Tout ce débat aura au moins eu pour effet de poser une grande question existentielle. En matière d’art, aire de liberté absolue, est-il souhaitable de faire intervenir un syndicat? Voulons-nous d’un système qui permettrait à n’importe quel imbécile capable de gratter une guitare de profiter d’une caisse de retraite? Souhaitons-nous augmenter le nombre d’artistes dépendants de l’État (en France, même si leurs conditions sont aujourd’hui décriées, le nombre d’"intermittents" est passé de 41 000 à 92 000 en l’espace de 9 ans!).

Ce que nous devrions refuser en bloc, c’est l’imposition d’un système procédurier à l’extrême, ce que semble prôner l’actuel directeur de la Guilde. En suivant la logique Subirana, qui veut réglementer tous les concerts donnés dans de petites salles par des artistes émergents, il aurait fallu bannir Rock et Belles Oreilles des ondes, alors qu’ils s’éclataient à CIBL sans être membres de l’UDA. On pourrait exiger des propriétaires de cafés qui offrent leurs murs à des débutants qu’ils engagent des accrocheurs certifiés pour s’assurer de la qualité d’une expo. Il aurait aussi fallu attacher les mains de Rufus Wainwright alors qu’il perfectionnait son art au Café Sarajevo.

Honnêtement, je suis déchiré entre la nécessité de protéger toutes les classes de travailleurs, incluant les musiciens, et ma méfiance à l’égard de tout organisme qui pourrait transformer les artistes en fonctionnaires. Si je fais réparer une fuite de gaz ou un court-circuit dans mon système électrique, je m’attends à ce que le technicien qui s’y emploiera possède des cartes de compétence. Mais lorsque j’ai devant moi un musicien, je me fous bien de savoir où il a étudié, du moment qu’il m’émeut.

Vous êtes musicien membre de la Guilde et vous avez des opinions sur le sujet? Sachez que des élections générales auront lieu au début de l’an prochain. De grâce, allez vous y faire entendre.

Que pourrais-je vous souhaiter pour 2003? Que la musique, qu’elle soit syndiquée ou non, vous étonne et vous fasse vibrer. De mon côté, je prends des vacances en compagnie des albums préférés de l’année (pour la liste des top 10, ainsi que les suggestions des lecteurs, consultez nos archives sur le site). On se reparle le 16 janvier.