Notes de passage

Le monde est Stones

Les Stones, donc.
On se sent presque mal d’ajouter une ligne de plus au gaspillage éhonté de papier qu’a suscité la visite des papys du rock à Montréal, mais puisque j’ai interrompu mes vacances pour aller à leur rencontre, je m’y collerai également.

D’abord, je dois confesser que je n’avais jamais vu "le plus grand groupe rock du monde"(tm) sur scène. Du coup, la rencontre revêtait pour le critique et fan de rock que je suis une certaine importance. Il va sans dire que, vu ma jeune trentaine, je ne pouvais vivre une telle expérience avec la même passion que les boomers extatiques pour qui le prix éhonté des billets (300 tomates pour une place dans les rouges) semblait amplement justifié. Je ne pouvais toutefois m’empêcher d’être impressionné: que les Stones puissent s’en tirer avec un pareil vol de grand chemin et qu’on continue de leur donner du "plus grand groupe rock du monde"(tm) gros comme ça, même s’ils n’ont pas lancé un seul bon album depuis 25 ans, témoigne de la force de leur mythe et de la qualité indéniable de leur imposant répertoire.

Mais dans l’avalanche de dithyrambes qui a suivi l’événement (exception faite de la critique du vaillant Sylvain Cormier), on mesurait trop souvent l’impact du show à l’aune de ses propres souvenirs ("je les ai vus en 72, moi, monsieur…"). Comprenez-moi bien: j’étais bien content d’entendre les pièces de l’énorme Exile on Main Street, mais le show du Centre Bell, ce n’était pas 72. Ce n’était même pas 89, d’après ce que m’ont dit quelques fans.

Aller voir les Stones en 2003, c’est un peu comme aller au musée. On déambule tranquillement entre des rangées de chefs-d’oeuvre (et il y en eut à la pelle, de Street Fighting Man à Brown Sugar, en passant par Satisfaction et Can’t You Hear Me Knocking, point fort de la soirée) mille fois entendus, sauf que là, c’est pour vrai. De mon point de vue, loin, très loin de la scène, j’avais l’impression de voir la Joconde au Louvre: "C’est beau, mais je pensais que ce serait plus grand."

Et ce n’est pas parce que Mick Jagger peut encore faire la danse de la poule avec assez de conviction, que Ron Wood a toujours l’air d’un adolescent allumé et que Charlie Watts ne vieillit pas (ben non, il a vieilli d’un coup il y a 25 ans; depuis, il semble cryogénisé) qu’il s’agit d’un événement. Quant à Keith Richards, n’en parlons pas trop, ne serait-ce que par respect pour ce débris vénérable et pour le rare moment d’émotion qu’il nous a procuré avec Slipping Away.

Reste qu’à 300 $ le billet, il est inexcusable de se pointer avec une sono déficiente, comme ce fut le cas au début du spectacle, tout comme il est honteux de présenter des visuels aussi pauvres (vous voulez vraiment voir les rides de Keith de la taille du Grand Canyon, vous?). Peut-être que je ne suis tout simplement pas un enfant des Stones, contrairement aux Respectables, qui méritent, eux, nos plus chaleureuses félicitations pour avoir relevé le défi de la première partie avec autant de panache.

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À côté des Stones, Mike Watt est un tout petit mythe, mais il appartient quand même à la légende. Avec les Minutemen, durant les années 80, il a contribué à la naissance du rock indépendant américain aux côtés des Black Flag, Hüsker Dü, Minor Threat et consorts. Ces groupes ne vous disent peut-être rien, mais ils ont servi de véritables phares à une jeunesse rebelle. Ils ont encouragé de jeunes paumés qui sont devenus les Nirvana et Beck de leur époque. Mais surtout, ils ont sorti le rock des arénas pour le ramener à la hauteur du public. Ce sont mes Stones et mes Beatles à moi. Chacun son passé.

On pourrait bien sûr trouver à redire sur la soirée de samedi dernier à la Sala Rossa, durant laquelle Watt a ressuscité quelques morceaux des Minutemen (entrecoupés de reprises bien senties des Stooges) en compagnie de quatre musiciens locaux. D’autant que pour un punk, 45 ans, c’est un âge canonique. Mais Watt (qui lançait ce soir-là un livre bilingue, publié aux éditions de l’Oie de Cravan) a gardé l’esprit essentiel du punk: à savoir que la star est dans la salle autant que sur la scène. Avant de s’éclipser, il l’a d’ailleurs rappelé au public en lançant: "Ne soyez pas nostalgiques! Faites plutôt quelque chose de créatif! Fondez un groupe!" C’est pas Jagger qui aurait dit ça…