Notes de passage

Boucan d’enfer

L’hiver a beau avoir été impitoyable ces derniers temps, il aurait fallu un blizzard du diable pour arrêter la vague de chaleur des réjouissants Charbonniers de l’enfer. Même à – 92 degrés kelvin, même avec un facteur vent qui sonne le glas (deux fois plutôt qu’une), il n’est pas une salle de spectacle, aussi mal isolée soit-elle, qui pourrait résister au réchauffement planétaire de l’incroyable groupe vocal, qui poursuit sa série de spectacles ce soir et demain (les 24 et 25 janvier) au Cabaret.

La preuve est maintenant faite: les Charbonniers de l’enfer, qui remontaient sporadiquement des profondeurs depuis leur création, ne sont plus un simple side-project. Maintenant que Michel Bordeleau a définitivement accroché ses bottines, les cinq hommes peuvent se consacrer sans réserve à leur entreprise de dépoussiérage de notre patrimoine musical.

Et en ce mardi soir glacial, ils nous ont fait partager l’insondable richesse du folklore vocal québécois. Jamais on ne s’est interrogé sur l’absence d’instruments au sein de la formation. Certains reels, déjà bien connus des habitués des spectacles solo de Michel Faubert, rivalisent de complexité avec les plus essoufflants scats de jazz. Tantôt accordées en de douces harmonies, tantôt déchaînées en de vertigineux contrepoints, les voix des cinq hommes étonnent par leur force d’évocation.

Si les cinq Charbonniers semblent parfois chanter d’une seule et même voix, la personnalité de chacun des membres s’affirme de plus en plus. Au-delà des différences dans les timbres, responsables de la beauté des harmonies, on découvre des identités affirmées, qui enrichissent l’expérience scénique. Au centre, Michel Faubert, incroyable conteur et amateur de complaintes déchirantes. À sa droite, la voix haut perchée et émouvante de Jean-Claude Mirandette (que Faubert a un jour qualifié de "rossignol des chemins de gravelle") et Michel Bordeleau, implacable machine rythmique qui bat la mesure de ses semelles avec une vigueur à faire pâlir Grégory Charles. À la droite de Faubert, le boute-en-train Normand Miron, flanqué de l’autre podorythmiste, André Marchand, parfait dans le rôle du straight man.

La complicité entre les cinq hommes est telle que la cohésion ne s’effritera presque jamais, exception faite de ce bref dérapage en deuxième partie, qui a permis à Faubert de nous balancer le calembour préféré des ensembles vocaux du monde entier : "Holà, la polyphonie se corse!"

L’humour sera souvent au rendez-vous dans le chapelet de chansons à la fois familières et déroutantes que les Charbonniers ont assemblé au fil des ans. Des airs qui semblent toujours actuels, même s’ils évoquent un passé parfois si lointain qu’on le croirait imaginaire. Et pourtant, tout, ou presque, vient de notre terroir. Des airs qui parlent de cocus et de curés, du diable ou de dévotion, de jalousies, d’aventures, d’amours secrètes ou simplement de ripailles bien arrosées. Rares sont les groupes pop qui peuvent se vanter de couvrir un éventail aussi large. On ne saurait dire assez de bien d’une entreprise aussi réjouissante. Voilà un show incontournable, qu’on recommande sans ambages à tous ceux que le folklore local rebute encore.

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La veille, toujours au Cabaret, on avait eu droit à quelque chose de moins caressant pour les oreilles avec le doublé Burning Brides / Division of Laura Lee. Les premiers, originaires de Philadelphie, surfent sur la vague du gros rock sale dont on nous répète qu’elle est en train de sauver la musique pop. Un power trio décent dont les références vont des MC5 à Nirvana, en passant par Sabbath, mais dont les chansons, hormis l’intéressant single Arctic Snow (fort à propos en cette saison), manquent sérieusement de variété. Oubliable, au mieux. Plus varié, le son des Suédois de Division of Laura Lee emprunte parfois à la cold wave (décidément, le thème du froid est vraiment de saison) avec moins de succès que les excellents Interpol. Sans ennuyer, ni l’un ni l’autre n’ont offert cette petite étincelle qui fait que quelques rockers modernes, White Stripes en tête, arrivent à se détacher du lot. Bref, des groupes rock comme vous risquez d’en croiser de plus en plus, et qui se feront oublier une fois la vague passée. Pour ce qui est de passer à la postérité, on miserait plutôt sur le répertoire séculaire des Charbonniers.