Notes de passage

Les clones sont tristes

Je me suis bien bidonné, durant les dernières vacances de Noël, en lisant Podium, le dernier roman de l’auteur et critique littéraire français Yann Moix. Un livre drôle et méchant à la fois, une fable corrosive où l’on suit les péripéties rocambolesques de Bernard "Nanard" Frédéric, imitateur professionnel de Claude François.

On peut dire bien des choses de ce roman, qui fut tantôt louangé, tantôt conspué par la critique. J’ai bien quelques réserves sur ce pavé de 400 pages: il est trop long, parfois agaçant à force de détails biographiques sur l’auteur de Comme d’habitude, et irrémédiablement franco-français, ce qui le rend quasi illisible pour quiconque ne s’est jamais intéressé aux stars de l’époque yé-yé en France.

Mais une chose est sûre, c’est un livre bien de son époque, car Podium traite de deux sujets plutôt chauds en ce moment: le culte de la célébrité et les clones. Attention: pas le genre prôné par les inquiétants clowns eugénistes raëliens, mais cette variété plus banale des imitateurs de métier. Ces clones tristes, aspirants artistes, dont le seul talent consiste à copier celui des autres. Ces sangsues pathétiques qui courent les ouvertures de supermarchés et les fêtes de province en ressuscitant, le temps de quelques chansons chorégraphiées à la steppette près, l’esprit de telle ou telle vedette aujourd’hui disparue ou aphone. "Ce que j’aime le plus en moi, c’est Claude François", déclare Nanard dans l’une des phrases en exergue qui ouvrent chaque chapitre de Podium. "Des notoriétés toutes faites, c’est moins compliqué que d’avoir à en créer une nouvelle", ajoute l’auteur.

Ces deux phrases me sont revenues à l’esprit en voyant, sur une chaîne locale, la pub de la série Pop Stars, énième avatar des reality shows à saveur musicale qui polluent les ondes en ce moment. Dans une interview, Moix établissait une nuance entre les sosies professionnels – sujet de son livre – et les aspirants à la célébrité qui meublent les reality shows: "(il y a une) grande différence entre un sosie et une copie, ou un sous-produit. Le sosie va beaucoup plus loin, il épouse une psychologie. Ce n’est pas seulement "à la manière de". Le sosie veut vraiment devenir un Claude François comme les autres."

Pourtant, la pub de Popstars va à l’encontre de cet énoncé. "Who will be the next Avril, Celine or Shania?" lance la voix off avec une emphase censée impliquer un quelconque suspense. Remarquez toute la perversité de la question. On ne vous demande pas "qui sera la prochaine grande star canadienne?", car il est beaucoup plus facile d’aspirer à être quelque chose de tout fait plutôt que quelqu’un. Idéalement, les stars de demain devraient emprunter le chemin déjà tracé dans les bacs des disquaires par les beugleuses ci-haut mentionnées.

Vous pensez que la version locale de Star Académie (bientôt sur vos écrans! du vrai monde qui chante comme nos vedettes!) va révéler au monde une chanteuse inimitable de la trempe de Diane Dufresne, Jorane ou Ariane Moffatt? Oubliez ça. Au mieux, vous aurez droit à une copie carbone délavée d’Isabelle Boulay ou à un ersatz de Lara Fabian. Au pire, à quelques aspirantes au trône de Pier Béland.

Tenez, dans le même registre, je n’ai pu m’empêcher de regarder les auditions d’American Idol, où des centaines d’anonymes défilaient devant des juges, en quête de leur 15 secondes de gloire (ça c’est du progrès: une génération affligée du syndrome du déficit d’attention a réussi à ramener l’adage de Warhol à son échelle). Dans un spectacle qui était l’équivalent variétés d’un reportage sur un accident de train aux nouvelles du soir, on a vu de pâles Michael Jackson, des Pink décolorées, des Britney dégonflées ou des apprenties Shania s’humilier en voulant ressembler à leurs idoles.

Bref, l’imitation médicore élevée au rang des beaux-arts. Et ce n’est même plus drôle.