Notes de passage

Frapper un mur

Décidément, quand ça va mal, ça va mal. Après les déboires pédophiles de Pete Townshend, voilà qu’une autre nouvelle choquante vient confirmer à tous les parents inquiets que le rock’n’roll, si vous ne le saviez déjà, est une musique qui rend fou. Parlez-en à Brian Wilson ou à Syd Barrett, tiens. C’est vrai, tout comme il est indéniable que c’est la masturbation qui a rendu Beethoven sourd comme un pot.

Il appert donc que Phil "Wall of Sound" Spector, le réalisateur le plus copié au monde, serait peut-être (j’ai dit peut-être) un assassin. Je ne sais pas ce qu’il y a de vrai dans cette histoire, mais Spector, qui vivait reclus dans un manoir de 28 chambres, n’en est pas à une bizarrerie près. Malgré tout le respect qu’on lui doit pour avoir accouché de merveilles comme Da Doo Ron Ron, Spector était un type pour le moins étrange. Non content d’être devenu millionnaire à 18 ans, il a été qualifié de sobriquets aussi charmants que "nabot paranoïaque" et "mégalomane napoléonien".

L’un des derniers albums à avoir bénéficié de son "génie" fut le très méprisable End of the Century des Ramones, réalisé il y a plus de 20 ans. Conspué par tout fan des Ramones qui se respecte, ce disque surproduit et mollasson a quand même légué une anecdote croustillante aux historiens du rock: on raconte que les Ramones, habitués à enregistrer une chanson dans le temps qu’il faut pour dire 1-2-3-4, eurent un jour la mauvaise idée d’interrompre leur interminable session d’enregistrement pour aller casser la croûte. Spector, qui ne l’entendait pas de cette oreille, aurait convaincu les quatre punks de terminer la prise à la pointe de son revolver. Pas de quoi fouetter un chat, me direz-vous, mais l’histoire a évidemment été soulignée à gros traits. On attendra les résultats de l’enquête avant de condamner le petit homme aux lunettes noires, mais le moment semblait mal choisi pour péter les plombs. En effet, selon le New Musical Express, Spector s’apprêtait à sortir de sa tanière pour réaliser le prochain album des Angliches Starsailor, dont il se serait entiché. On raconte même qu’il aurait pu réaliser le prochain album des Vines. Il semble que la nouvelle vague de rock devra attendre encore longtemps avant de goûter au mur du son.

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Tout ça pour vous dire que vendredi dernier, au Métropolis, on a eu droit à un "mur de son" d’un tout autre ordre. Une joyeuse concoction de hip-hop, de rock et de funk a fait résonner la salle de la rue Sainte-Catherine pleine à craquer pour l’occasion. Je vois déjà quelques sceptiques maugréer: "Un bon show hip-hop? Ça existe, ça?"

Vous avez raison de douter. Comme c’est le cas en musique électronique, où de splendides albums créés dans des chambres à coucher par de petits génies agoraphobes s’écrasent misérablement en concert, le hip-hop passe souvent très mal l’épreuve du live. En fait, j’ai toujours eu l’impression que ce genre musical s’appréciait mieux dans l’enceinte réduite d’une Honda Civic, le volume dans le tapis, que sur scène.

Mais il y a les shows hip-hop et il y a The Roots.

Les Roots sont un groupe, un vrai. Guitare, basse, batterie, percus, claviers et tout le toutim. En guise de machine, un beat-box humain, l’incroyable Rahzel, l’homme aux lèvres d’acier, secondant les M.C. Black Thought et Kamal. Derrière eux, le groupe (mené par l’imposant batteur, D.J. et producteur ?uestlove), capable de se retourner sur un 10 cennes, a multiplié les glissements de genre et les citations musicales pour le plus grand plaisir d’un public en quête d’inédit. Chose rare dans le genre, le groupe a scindé son show en deux parties, laissant la place durant l’entracte à MadSkillz, un excellent rapper un brin didactique, qui, entre deux imprécations du genre "y’all say you know hip-hop?", nous a servi une formidable leçon de rap façon old-school. J’ai malheureusement manqué la fin de ce concert, plus brouillonne, paraît-il, mais les Roots avaient déjà relevé le pari haut la main.

Bref, le hip-hop se renouvelle, avec d’un côté les expérimentations électroniques de groupes comme Anti-Pop Consortium, et de l’autre les penchants rock de Common et des Roots. Mauvaise nouvelle pour tous ceux qui pensent encore, après tout ce temps, qu’il ne s’agissait que d’un courant passager.