Notes de passage

Le coeur à la bonne place

Vous faisiez quoi à la Saint-Valentin? Vous vous gaviez de chocolats cireux made in China en compagnie de votre tendre moitié? Si vous êtes les heureux parents d’ados (voire de pré-ados) punks, vous avez sûrement profité de la soirée en amoureux pendant que votre fringante descendance s’en donnait à coeur joie en compagnie des Vulgaires Machins au Métropolis.

Ben oui, au Métropolis. Il y a à peine quelques mois, on s’étonnait de les voir jouer dans un Spectrum bondé. En ce vendredi glacial, le Métropolis fraîchement rénové semblait sur le point de craquer sous la pression de quelques milliers de jeunes en délire. Ils ont bien raison, car ce petit groupe, qu’on croyait innocent, est en train de devenir la plus redoutable formation punk au Québec. Les harmonies vocales, l’alternance de voix féminine et masculine, les refrains à reprendre en choeur, tout est d’une déconcertante simplicité, mais les Vulgaires Machins possèdent maintenant une maîtrise impressionnante de leur art. Plus tight, plus fort, plus gros (mention spéciale à l’éclairagiste, qui a fait un boulot du tonnerre pour leur donner l’ampleur nécessaire pour emplir l’immense scène), le quartette a chauffé à blanc l’ensemble de la salle, où il était difficile de rester immobile.

Dans mon compte rendu du concert du Spectrum, en octobre dernier, je remarquais que les fans des Vulgaires semblaient les traiter avec la même passion enthousiaste qu’ils réservaient autrefois aux groupes californiens. Aujourd’hui, il me faut réviser cette affirmation: si le public des Vulgaires Machins les traite comme s’il s’agissait de Bad Religion, NOFX ou autres, ce n’est certainement pas par chauvinisme, mais tout simplement parce que le groupe est rendu au même niveau. Et on ne se plaindra certainement pas que la jeunesse d’ici ait accès à un band qui signe des textes intelligents et conscientisés. Et qu’importe s’il s’agit parfois de galimatias d’anarchistes de bonne famille. Ça fera toujours quelques milliers de jeunes sauvés des périls de Mix Mania.

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On s’amusait tellement avec les Vulgaires Machins qu’on a presque oublié que quelques mètres plus haut, sur le boulevard Saint-Laurent, le brillant Joseph Arthur était déjà sur scène.

Bravant à nouveau le froid, on s’est rendu au Cabaret à temps pour apprécier la deuxième moitié du concert de l’un des chanteurs américains les plus fascinants du moment. D’accord, on n’y va pas de main morte lorsque vient le temps de qualifier le natif d’Akron, Ohio, mais force est de reconnaître que cet homme a du génie.

Il est tout seul avec sa guitare, mais ce n’est pas un folk singer au sens traditionnel du terme. Joseph Arthur – et c’est peut-être une extension de son travail de sculpture et de peinture – est un véritable plasticien du son. À l’aide de quelques échantillonneurs manipulés en direct, il arrive à recréer devant un public ébahi l’effet d’un band complet. Et ce n’est pas une illusion: il faut presque le voir pour comprendre comment il arrive, en enregistrant un coup donné sur le corps de la guitare qu’il repasse ensuite en boucle, à simuler une batterie. Couche par couche, il construira ses compos: une ligne de basse ici, une guitare rythmique là, des choeurs, des bruits, des cris, que sais-je… J’en entends déjà se plaindre qu’il s’agit de machines et, par conséquent, qu’elles dénaturent probablement l’art vénérable du troubadour américain. Foutaises. Si vous êtes de cet avis, vous auriez probablement fait partie de ceux qui ont hué Dylan lorsqu’il a osé se pointer avec une guitare électrique au Festival de Newport. Joseph Arthur est un visionnaire, dont on pourrait même dire qu’il est l’avenir de la chanson américaine.

Fait amusant, Joseph Arthur offre, à la fin de chacun de ses concerts, la possibilité d’acheter, pour 20 $, un enregistrement du show auquel vous venez tout juste d’assister. Vous passez à la caisse tout de suite et on vous envoie, une semaine plus tard, un CD gravé à partir de l’enregistrement fait directement de la console.

Il va sans dire que j’attends mon petit bootleg personnel avec impatience.