Notes de passage

Lanois du plus fort

C’était le genre d’événement où l’on croise habituellement bon nombre de parasites attirés par la seule mention du mot "événement". Mais le concert intime de Daniel Lanois, tout événementiel qu’il fut, n’avait rien d’une soirée mondaine. Le public – où l’on retrouvait une impressionnante quantité de musiciens locaux en état d’extase et d’envie – était là pour écouter. Écouter et regarder, histoire de percer le secret de cet ahurissant son de guitare dont le célèbre réalisateur a le secret. Lanois cache-t-il un tigre dans le corps de sa Gibson? J’ai interrogé un guitariste, qui a tenté d’expliquer la richesse des harmoniques et l’apparente présence d’une basse pourtant inexistante par une utilisation peu orthodoxe du volume, mais il semblait aussi médusé que moi. Contrairement à un Joseph Arthur, qui démontre sur scène toutes les étapes de sa création sonore, l’art de Lanois relève de l’alchimie.

Le public de Montréal a eu droit à un moment unique, alors que l’homme à la tuque partageait la scène avec son ami Brian Blade, un batteur époustouflant qui a joué tant chez Dylan, Joni Mitchell et Norah Jones qu’avec de grosses pointures jazz comme Wayne Shorter ou Joshua Redman. Si la complicité entre les deux musiciens était évidente, elle l’était tout autant avec le public, qui a goûté en avant-première aux chansons de Shine (en magasins fin avril) avec la même attention qu’il a accordée aux relectures de vieux morceaux. Pour faire reprendre en chour le refrain d’une chanson que personne n’a encore entendue (Falling at Your Feet, le fameux duo avec Bono que l’on retrouvera sur Shine), il faut avoir un sérieux ascendant sur son auditoire. Et Lanois, qu’on aurait dit installé dans son salon, en a à revendre.

Un bémol, maintenant. Un tout petit détail, mais qui m’est apparu significatif lors d’une discussion avec mon collègue Marsolais après le concert. Comment se fait-il que ce natif de l’Outaouais, qui avait fait un retour à ses racines francophones avec le glorieux Acadie, il y a près de 15 ans, n’ait pu éructer autre chose qu’un timide "Bonsoir Montréal" dans sa langue maternelle? Comment expliquer qu’au moment d’interpréter sa "trilogie québécoise" (O Marie, Jolie Louise, Collection of Marie-Claire), Lanois ait expliqué en anglais le sort de ces pauvres Québécois allant s’échiner dans les champs de tabac ontariens sous les ordres d’un foreman cruel? Le public vibrait à l’unisson en écoutant le récit de Jean-Guy, viré à cause de son nom "qu’est pas bon", mais l’auteur semblait détaché de son personnage.

Ce petit tiraillement au cour fut de courte durée. Même si on souligne trop peu souvent la qualité de sa voix, Lanois a chanté avec force et il a fait "son premier amour" (c’est ainsi qu’il a présenté sa slide guitar) avec une maestria qui exclut tout débat linguistique.

lll

Bon, c’est fait. Les membres de la Guilde des musiciens ont parlé d’une voix décisive et ont enfin chassé leur très détesté président Émile Subirana lors d’une élection en bonne et due forme. Une bonne raison de crier de joie, certes, mais si vous pensez que le dossier du statut des musiciens vient de se régler d’un coup de baguette magique, vous vous enfoncez le doigt dans l’oil jusqu’à l’épaule.

L’attitude méprisante et dictatoriale de Subirana aura au moins eu le mérite d’ouvrir la boîte de Pandore, signifiant une fois pour toutes que le syndicat, branche locale de l’American Federation of Musicians, devait revoir son champ d’action.

Le changement de garde signifie que les féroces opposants à Subirana, réunis lors du récent concert Tous contre la Guilde, devront mettre de l’eau dans leur vin et s’asseoir avec le nouveau conseil d’administration, où siège maintenant l’un des leurs, le très actif et très engagé Sébastien Croteau. Gérard Masse, le nouveau président, a décidé de faire du dossier des petits bars et des artistes émergents qui s’y produisent sa priorité numéro un. Aux artistes de répondre à l’invitation et de redéfinir de manière constructive le statut de musicien.