Notes de passage

A fine Romance

Yann Perreau est, à n’en point douter, un artiste unique et talentueux. Et mercredi dernier, lors de la première de sa série de spectacles au Cabaret, l’ex-leader de Doc et les Chirurgiens avait rendez-vous avec le tout Montréal venu le constater de visu.

Et notre cover boy n’a pas déçu. Ceux qui ne savaient pas à qui ils avaient affaire ont été soufflés, surtout les filles (un conseil aux garçons: si vous emmenez votre blonde à un show de Perreau, votre sex appeal risque de tomber au niveau de celui d’un pied de céleri). Durant cette soirée de première, les fans de musique ne sont pas en reste: Perreau est entouré d’un band impeccable (où brillent le bassiste et réalisateur Gilles Brisebois et le claviériste Dan Thouin) qui l’aide à livrer toutes les textures de son impressionnant coup d’envoi en solo, Western Romance.

On pourrait résumer les ambitions de ce spectacle par le trio de reprises entendues ce soir-là: On m’a oublié de Richard Desjardins, La Lune d’Arthur H et The Persuaders Theme de John Barry. Perreau essaie de combiner la force des textes du premier, l’inventivité musicale du second et la richesse sonore du troisième. La bonne nouvelle, c’est qu’il y est presque. Le bémol, c’est qu’il a voulu tout mettre dans un show un tantinet trop théâtral où il semblait parfois coincé dans la mise en scène. De petits détails propres au premier concert: une sono qui effaçait parfois la subtilité des arrangements et noyait la voix, des éclairages un rien trop criards et des mouvements par trop calculés. Une fois que Yann aura apprivoisé la scène avec son nouveau groupe (et ça ne saurait tarder, ce type-là est né pour la scène), ce show sera à la hauteur de son créateur. Grand, vraiment grand.

War, what is it good for?

Pas facile d’être un artiste antiguerre aux USA par les temps qui courent. Parlez-en à Natalie Maines, la chanteuse des Dixie Chicks, groupe de country-pop texan extrêmement populaire chez nos voisins du sud. En tournée en Angleterre, où elle a découvert que le monde des médias ne se limitait pas à CNN et à la propagande de Fox News, madame Maines a eu la mauvaise idée de se servir de ce right to free speech si cher à ses compatriotes pour attaquer de front son président. "Qu’une chose soit claire: nous avons honte que le président des USA vienne du Texas", a-t-elle lancé.

De gros mots et beaucoup de courage pour une si petite fille dont on n’en attendait pas tant (après tout, Dixie n’est-il pas le sobriquet des états confédérés et celui d’une chanson que plusieurs Américains trouvent offensante?). La réponse ne s’est pas fait attendre: boycotts radiophoniques, pilonnage de CD qui rappelait les célèbres fatwas contre Elvis ou les Beatles (après le fameux "Nous sommes plus populaires que Jésus", de Lennon). La dame s’est plus ou moins rétractée, diluant son message antiguerre pour s’excuser auprès de Bush et soutenir les vaillants soldats américains (les Chicks ont d’ailleurs écrit une chanson intitulée Travelin’ Soldier).

Et on entre dans le rang sans trop faire de bruit, de peur de voir les ventes de disques s’effondrer. Ah, elle est belle, la liberté d’expression. Je sais que ce n’est pas la première fois que je pose la question, mais que sont nos rockers devenus? Les Grammy Awards avaient menacé de couper le sifflet à quiconque voudrait faire passer des messages politiques lors de la cérémonie. Résultat: on a remis hors d’ondes quelques trophées (dont celui de Coldplay, qui avait gueulé pas mal fort lors des Brit Awards) histoire d’empêcher tout débordement. Résultat: Sheryl Crow, pourtant considérée comme l’une des plus grosses vedettes du mouvement pacifiste américain (qui avait d’ailleurs déclaré publiquement: "Si on ne peut pas se tourner vers nos artistes, à qui peut-on se fier?"), a affiché ses convictions de manière bien tiède, arborant une courroie de guitare sur laquelle était inscrit "No War". Ouh! On entend W tomber en bas de sa chaise! On s’est donc retrouvé avec quelques statements incompréhensibles, dont celui de l’inénarrable Fred Durst, de Limp Bizkit, qui s’est contenté d’espérer "que la guerre s’en aille".

Il y a bien des artistes qui essaient de se faire entendre, mais on préfère de loin donner une tribune à des gens comme le chanteur country Toby Keith, que j’ai aperçu à CNN l’autre jour interprétant son hit patriotique The Angry American (Courtesy of the Red White and Blue).

Il reste bien des gens pour crier leur indignation, mais leur voix semble noyée: le folk lesbien militant de Michelle Shocked et le rap enragé de Chuck D n’ont guère la cote auprès des mass media ces jours-ci. Mais si vous voulez voir qui s’engage et comment, oubliez les réseaux américains traditionnels et tournez-vous vers le site du collectif Musicians United to Win Without War (www.moveon.org/musiciansunited). Vous verrez que les artistes ne sont pas si muets que ça. C’est seulement l’Amérique qui est sourde.