Notes de passage

La folie en quatre

Ça m’arrive rarement, pour ne pas dire jamais; mais samedi soir, lors du dernier des trois concerts que donnait Diane Dufresne au Monument-National, j’ai senti des larmes, des vraies, me monter aux yeux.

C’était lors du moment fort du spectacle, arrivé après une première partie sobre consacrée aux chansons d’amour. Une première partie durant laquelle Dufresne a repris Piaf, Brel et même Jonasz, réussissant (en particulier lors de son interprétation de Quand on n’a que l’amour) à nous faire oublier qu’on avait pu un jour entendre ces textes chantés par d’autres.

Le moment fort du spectacle, donc, était un medley qu’on pourrait qualifier de « tétralogie de la folie », où elle a imbriqué les unes dans les autres J’ai douze ans, Le 304 et Le Parc Belmont, complétant cette audacieuse fusion par une version intégrale de la magnifique L’Oubli, écrite par Michel Rivard en hommage au cinéaste Claude Jutra.

Je ne saurais dire ce qui m’a tant ému. Cette interprétation magistrale de L’Oubli, où Jutra était tellement présent qu’on aurait cru le voir descendre sous nos yeux dans les eaux glacées du Saint-Laurent? L’apparition sur scène d’une artiste à la fois « mature » (elle nous a rappelé ses 58 ans bien sonnés à plus d’une reprise au cours de la soirée) et complètement folle, juchée sur une gigantesque chaise haute qu’elle martelait telle une enfant boudeuse? L’amour inconditionnel du public, tellement perceptible à cet instant précis? Au fond, c’est à la fois beaucoup plus simple et plus intangible que ça. À ce moment du spectacle, Dufresne ne chantait pas la folie, l’angoisse et le mal de vivre. Elle était la folie, l’angoisse et le mal de vivre. Mais Dufresne a aussi incarné la vie, dans tout ce qu’elle a de plus vivant, comme lorsqu’elle a chevauché une moto imaginaire pour Rock pour un gars de bicyc’ ou expulsé tout l’air de ses prodigieux poumons dans Oxygène. C’est ce qui sépare les vraies interprètes de toutes les Céline et Lara de ce monde. Cette humanité décuplée, cette conscience intime de chaque mot qui sort de sa bouche font de Diane Dufresne une artiste à nulle autre pareille.

On pourrait trouver à redire sur ce concert, en particulier sur les arrangements « modernes » et les bip-bip électroniques que les frères Courcy (qui avaient remixé Rock pour un gars de bicyc’, Oxygène et participé aux nouvelles compositions de Merci) saupoudraient parfois avec trop d’insistance. On pourrait aussi recenser les quelques rares fois où la voix a dérapé et où le piano de l’arrangeur-directeur musical Alain Sauvageau aurait pu se faire entendre plus fort.

Détails sans importance pour le public, qui n’était pas face à une diva intouchable, mais à une artiste généreuse qui a joué la carte de la proximité. Parlez-en à ce spectateur hébété invité à lui donner la réplique dans L’Homme de ma vie, que Dufresne a raccompagné hors de la scène avec une incroyable sollicitude. Ou à tous ces fans (y compris ceux du balcon) qui ont pu la toucher alors qu’elle interprétait Un souvenir heureux en remontant les allées. Pas de calcul ici: tout cela respirait l’abandon et l’amour réel du public, qui communia avec elle une ultime fois durant un Hymne à la beauté du monde tellement de circonstance. Elle était sur scène, la beauté du monde. Et malgré ce qu’elle a pu dire de ses 58 ans, elle semble increvable.

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Bonne nouvelle numéro un: l’appel au boycott contre les Dixie Chicks, accusées d’anti-américanisme pour leurs déclarations anti-Bush, ne semble pas porter ses fruits. Leur album Home est même passé de la sixième à la quatrième position du palmarès des ventes pop aux USA. Une fois de plus, le vieil adage (« Parlez de nous en bien, parlez de nous en mal, mais parlez de nous. ») s’est avéré juste.

Bonne nouvelle numéro deux: l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, une bande de petits vieux habituée à récompenser des tounes fadasses écrites par Sting, Phil Collins ou Paul Simon pour les interchangeables récits animés de Disney, a snobé la très patriotique (et soporifique) The Hands That Built America de U2 en récompensant Lose Yourself d’Eminem à la dernière cérémonie des Oscars. L’Amérique n’est peut-être pas si sourde que ça, après tout.