Notes de passage

This is the end.

Il y a un peu plus d’un an, lorsque je cherchais un titre pas trop con pour cette chronique, je ne me doutais pas des innombrables sens que ce "Notes de passage" recelait. Aujourd’hui, alors que je m’apprête à quitter ce journal qui m’a littéralement mis au monde (professionnellement parlant, s’entend), je le vois plutôt comme un rite de passage.

Au moment où vous lisez ces lignes, j’ai déjà vidé mon bureau chez Voir. Je ne suis pas très loin, remarquez… Étant un brin paresseux, je me suis contenté de descendre quelques étages jusque chez MusiquePlus, qui m’a fait le grand honneur de m’offrir le poste de producteur délégué à l’information.

Je ne quitte donc pas le milieu culturel et, me connaissant, je n’abandonne pas complètement l’écriture non plus. Vous me verrez sûrement réapparaître dans ces pages à l’occasion.

Mais bon, comme je quitte la maison familiale, je ne peux m’empêcher de faire le bilan de ces années passées dans l’un des plus formidables journaux qui soient. Grâce à Voir, j’ai eu l’occasion de pratiquer un métier formidable. Durant une décennie, j’ai d’ailleurs souvent eu à me défendre auprès de mes parents, mes amis et quelques étrangers qui me reprochaient de n’être qu’un vulgaire dilettante payé à s’amuser. "Quoi? Critique de rock? Mais c’est pas une vraie job, ça!"

C’est vrai qu’il s’agit d’un boulot aussi agréable que peu commun, qui m’a donné l’occasion de croiser bon nombre d’idoles de jeunesse et procuré quelques frissons inoubliables. En 10 ans, j’ai écouté des milliers de disques et j’ai assisté à d’innombrables concerts qui ont irrémédiablement endommagé mon ouïe. Mais au détour de chaque rencontre, lors de chaque concert, au terme de chaque phrase, je me rappelais cette grande vérité: je fais un boulot formidable.

Je pourrais vous abreuver de souvenirs marquants, témoigner de l’émotion que m’ont procurée quelques rencontres marquantes parmi lesquelles je mentionnerais Bowie, Nick Cave, Diamanda Galas, Bashung, voire Percy Sledge (!). J’ai dans ma besace tellement de souvenirs que j’ai parfois l’impression d’être beaucoup plus vieux que je ne le suis vraiment. C’est du moins ce que je me dis lorsque je m’adresse à des confrères qui n’avaient pas fini leur primaire lorsque mon collègue Saulnier et moi, galvanisés par le mémorable concert de Nirvana à Verdun, avions décidé de faire un tour au défunt et microscopique Woodstock, pour y entendre un petit groupe anglais qui venait de lancer la chanson Creep. Mais je m’égare; je ne suis pas ici pour regretter le bon vieux temps…

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Je ne pourrais quitter Voir sans remercier ceux qui m’ont permis d’y devenir ce que je suis aujourd’hui. Merci d’abord à Pierre Paquet, président et éditeur de ce journal, qui, il y a plus de 12 ans, m’a refusé un poste de préposé aux annonces classées, pour ensuite me demander si je voulais bien me joindre à son équipe pour "faire un peu de tout et n’importe quoi". Je pense qu’il ne se doutait pas que je le prendrais au mot et que je collerais si longtemps dans sa compagnie, où j’ai assumé des tâches aussi variées que laver les carreaux, assembler des pages à la colle et même assurer la rédaction en chef du journal.

Merci à mon ex-rédacteur en chef Jean Barbe, qui, probablement désespéré par mon inaptitude comme commis de bureau, m’a demandé un jour si je n’avais pas plutôt envie d’écrire. Il m’a appris le métier à la dure, charcutant allègrement mes premiers textes à l’aide de sa gargantuesque plume Mont Blanc, ce dont je lui suis infiniment reconnaissant.

Merci à Laurent Saulnier, d’abord mentor, ensuite ami, qui a tenté de m’apprendre la concision en tentant de réfréner ma légendaire verbosité. Il a malheureusement échoué, mais il m’a inculqué la rigueur, le respect et l’amour du métier.

Merci à mon autre ex-rédacteur en chef Richard Martineau, pour son étonnante confiance et son indéfectible appui.

Merci à tous les attachés de presse qui me parlent encore même si je ne retournais leurs appels qu’une fois sur 22.

Un énorme merci à tous les membres de la rédaction, passés et présents, pour leur curiosité, leur ouverture et leur passion dévorante pour la culture. Vous ne savez pas à quel point votre présence a contribué à enrichir mon expérience professionnelle.

Merci à ma blonde, qui endure avec le sourire les inévitables nuits blanches que ce changement de cap n’a pas manqué de susciter chez moi.

Merci aux artistes, que j’admire par-dessus tout. Malgré ce que peuvent penser certains lecteurs, personne ne fait ce métier en croyant détenir la vérité absolue sur ce qu’est la bonne musique. J’admire le moindre joueur de pipeau, le moindre gratteux de guitare, le moindre bidouilleur de machines qui, au cours d’une entrevue, a bien voulu lever un coin de voile sur les mystères de l’acte créatif.

Merci aux lecteurs, surtout. Il est difficile d’expliquer le sentiment de fierté que l’on peut ressentir lorsque l’on remarque, assis dans un café par un beau jeudi matin de printemps, que notre voisin de table lit avec intérêt l’un de nos articles. Vous allez me manquer.

Un boulot formidable, je vous dis…