Ondes de choc

Business as usual

Une salle de congrès climatisée, à Manhattan. Assis sur le plancher, des p’tits vieux en smoking et des p’tites vieilles en robe du soir. Debout sur la scène, un maître de cérémonie aux cheveux gominés.

– Ladies and Gentlemen, we’re proud to present you mister Lucien Bouchard!

Les convives applaudissent, pendant que Lucien Bouchard ajuste son micro et salue la foule.

– Bonjour, mes amis, hello my American friends! Je me présente: je m’appelle Lucien Bouchard, et je suis premier ministre du Québec!

– Prime minister of what?

– Québec!

– Ké-what?

– Québec!

– Where the hell is this?

– Au nord du Vermont. (Silence) De l’autre côté de la frontière. (Silence) Tout près de Plattsburgh.

– Oh, yeah! Kwébec! The Frenchies! So, what brings you in New York?

– Je veux vous parler du reportage sur Montréal, paru dans le National Geographic, il y a quelques mois; du texte de Mordecai Richler, paru dans le New Yorker; il y a quelques années, et du reportage sur nos lois linguistiques, diffusé à l’émission Sixty Minutes…

Silence. Quelque part dans le fond de la salle, quelqu’un tousse. On entend le buzz des néons. Les gens se regardent, gênés.

– Personne d’entre vous n’a vu aucun de ces reportages?

– Sorry. We read Forbes magazine and watch Moneyline. What did they say?

– Hum… Eh bien, ils disaient que nous étions des nazis, des barbares primitifs qui ne respectaient pas les droits de la personne, qui emprisonnaient les anglos dans des camps de concentration, et qui donnaient des amendes aux perroquets qui ne parlent pas français!

Frisson d’effroi dans la salle. Une femme crie:

– But it’s horrible! It’s terrible! We must stop the massacre!

– C’est exactement la raison de ma visite, madame. Je suis venu vous dire que c’est faux! Il n’y a pas un mot de vrai là-dedans! Tout ça est un tissu de mensonges!

– It is?

– Oui, absolument!

– Oh… So?

– Eh bien, c’est ça. Le Québec aime beaucoup les Américains, we speak English, et nous voulons continuer de brasser des affaires avec vous.

Bruit de criquets dans la salle.

– Voilà, merci beaucoup!

Les gens se jettent des regards interrogatifs, haussent les épaules, puis se lèvent et applaudissent Lucien Bouchard à tout rompre.

Le lendemain, en page Z-32 du New York Bozo, entre la rubrique nécrologique et la chronique de bridge, on peut lire un entrefilet de deux lignes sur la visite de monsieur «Lucien Boucher» à Manhattan. Bouchard et ses conseillers sont fous de joie.

– Regarde, Jean-François, dit le premier ministre à son stratège numéro un: nous avons réussi! Nous avons sauvé la réputation du Québec, et rassuré Wall Street! Bon, qu’y a-t-il sur l’agenda, maintenant?

– Une rencontre avec Team Québec pour planifier le prochain voyage au Chili.

– Ah, le Chili. Quel superbe pays! T’as lu le reportage sur Santiago dans le dernier National Geographic? Le journaliste décrit comment les militaires travaillent de concert avec le gouvernement pour rendre la vie plus agréable aux investisseurs étrangers. Je vais te dire, ils sont autrement plus efficaces que notre police de la langue! (Rires)