La vie peut être parfois mauditement cruelle.
Prenez ce qui est arrivé mardi.
Vous êtes pauvre, dans la rue, et affamé; vous vous rendez à une soupe populaire pour manger une croûte, et puis KABOUM! le ciel vous tombe sur la tête.
Cela dit, des explosions, ça a quelquefois un bon côté. La dernière brique rouge de la façade de l’Accueil Bonneau n’avait même pas touché le sol que, déjà, des cameramen jouaient des coudes rue de la Commune. Rien de mieux qu’une bonne grosse catastrophe pour attirer les médias.
Cette leçon, les terroristes l’ont comprise depuis longtemps. Vous voulez faire connaître votre cause? N’organisez pas des conférences de presse: placez plutôt une bombe dans un endroit hyper fréquenté. Vous verrez, vous n’aurez plus assez de bouches pour répondre à toutes les demandes d’entrevues.
La pauvreté, ça ne fait plus vibrer personne. Des mendiants, il y en a à tous les trois pieds. Les squeegees font partie du paysage, comme les graffitis et les cols bleus qui sifflent les filles en se pognant le beigne. Non seulement la misère ne choque plus les passants, mais elle est même devenue nécessaire au développement d’une véritable culture urbaine. Que serait Montréal sans ses sympathiques sans-abri, ses putes maigrichonnes battues par leurs pimps, et ses junkies défoncés? Une grosse ville de banlieue aseptisée et plate! Alors que maintenant, elle nous donne notre lot de frissons, de sensations… Le square Berri est devenu une attraction touristique, au même titre que la tour penchée du Stade. Ça nous rappelle la belle époque de l’Expo 67. Après le pavillon des soucoupes volantes et celui de la santé, voici la Place des Gueux!
De 17 h 30 à 20 h: mendicité. De 20 h à 20 h 15: fumage de pot. Et de 20 h 15 à 21 h: festival de la matraque avec le corps de clairons du SPCUM. Apportez vos sandwichs et n’oubliez pas de nourrir les pigeons.
Ce qui est étonnant, avec la couverture médiatique de l’explosion à l’Accueil Bonneau, c’est de voir comment l’industrie de la charité fait maintenant partie intégrante de notre réalité. On ne questionne plus du tout l’existence des soupes populaires, on ne se révolte plus devant leur multiplication.
Il y a des pauvres, il y a des organismes de charité, il y a des parcomètres. C’est la façon dont fonctionne notre système.
La charité et l’aide humanitaire sont en train de devenir des entreprises de service comme les autres. Chaque année (généralement à la période des Fêtes), on leur envoie quelques dollars afin de se déculpabiliser.
Il y a le réparateur Maytag, qui peut réparer ma sécheuse Maytag quand elle tombe en panne.
Il y a Domino Pizza, qui peut me livrer une pizza quand j’ai faim.
Et il y a l’Accueil Bonneau, qui peut me donner bonne conscience quand j’ai de la difficulté à dormir.
La belle vie…
Dans les années 50, les gens allaient voir le curé et lui disaient: «Pardonnez-moi, mon père, car j’ai fermé les yeux devant la misère.» Le curé leur répondait: «Récitez deux Notre Père et trois Je vous Salue Marie, et allez en paix…»
Aujourd’hui, le curé dit: «Envoyez un chèque à Jeunesse au Soleil, et dormez tranquille…»
Qui sait? Dans quelques années, on construitra peut-être un mégacentre de l’entraide. Une sorte de Club Price de la charité. Un gros entrepôt situé à Ville Saint-Laurent, baptisé Causes en vrac.
Pour devenir membre, vous devrez être étudiant, professionnel ou nouveau parent. Vous entrerez dans l’entrepôt, et vous vous retrouverez face à dix grosses allées.
Allée 1: enfants, sans-abri.
Allée 2: handicapés, vieillards, animaux abandonnés.
Allée 3: torture, violation des droits de l’homme…
Vous vous promènerez dans les allées avec votre gros chariot et, de temps en temps, vous entendrez une voix dans les haut-parleurs:
«Cette semaine, Centraide est en spécial. Quinze dollars pour sauver trois p’tits vieux. Chaque mois, vous recevrez des nouvelles de l’hospice, avec une photo en couleur et un mot de remerciement.»
Il va aussi y avoir des comptoirs d’essai.
«La situation au Timor oriental vous empêche de jouir pleinement de votre confort? Vous vous sentez coupable chaque fois que vous allez manger au Ritz? Signez une pétition d’Amnistie internationale, vous verrez comme ça fait du bien!»
Sans oublier les journées pour les enfants.
«Martin-Alexandre? Julie-Stéphanie? Venez avec papa, on va donner quelques sous à un quêteux au rayon des sans-abri. Après, si vous êtes gentils, papa va vous emmener chez Dairy Queen.»
Près des caisses, il y aura un rayon Culture où vous pourrez acheter des CD-bénéfice, des vidéocassettes de grands téléthons, de même que des rubans rouges (sida), blancs (non-violence) et bleus (écologie).
Et chaque semaine, il y aura un artiste invité.
Sommeil garanti, ou argent remis.