Ondes de choc

Va jouer dehors

«Did you exchange a walk on part in the war for a lead role in a cage?» – Pink Floyd, Wish You Were Here

Mardi. Soirée cinéma. Sur l’écran, les bandes-annonces défilent les unes après les autres. Les mêmes poursuites, les mêmes explosions, les mêmes héros, les mêmes poupounes. Ronin, Lethal Weapon 4, The Negociator: autant de thrillers interchangeables montés à la AK-47 et gonflés aux stéroïdes.
Puis, soudainement, les lumières s’éteignent et le programme principal débute. The Truman Show. Un film vraiment vraiment vraiment (et j’ajouterais: vraiment) exceptionnel.

Vous connaissez tous l’histoire: un jeune vendeur d’assurances se rend compte que sa vie est un téléroman diffusé en direct à travers le monde. Tous les gens qu’il croise sont des acteurs; sa femme et sa mère sont des comédiennes payées pour lui donner la réplique; et la ville dans laquelle il habite est en fait un gigantesque studio de télé, équipé d’un faux soleil, d’une fausse lune, d’un système climatique contrôlé par ordinateur et de cinq mille caméras cachées qui épient ses moindres gestes.
On a beaucoup écrit sur The Truman Show. Sa vision acerbe du monde de la télé, sa critique des reality shows et de notre tendance malsaine au voyeurisme.
Mais réduire le film de Peter Weir à un simple pamphlet contre le petit écran est un sacrilège. The Truman Show est beaucoup, beaucoup plus que ça. C’est un film sur la liberté. Ou plutôt, sur notre refus de la liberté.

(Note à ceux qui n’ont pas encore vu le film: je vais discuter de certains détails de l’intrigue. Si vous ne voulez pas connaître trop de choses sur The Truman Show avant d’aller le voir, bouchez-vous les oreilles.)
Truman Burbank, le héros du film (et du téléroman dans le film), vit dans une bulle. Il croit vivre, mais en fait, il ne vit pas. Il ne connaît rien de la vraie vie. Les sentiments qu’il éprouve, les gens qu’il rencontre, même ses souvenirs sont artificiels. Toute sa vie se déroule dans un environnement contrôlé. Il répète toujours les mêmes gestes et les mêmes paroles, voit les mêmes gens, fréquente les mêmes lieux. Métro, boulot, dodo, cinq jours sur sept. Et le week-end, un peu de loisirs, un peu de sexe, et un peu d’alcool pour faire sortir la vapeur. Cela, jusqu’à sa mort.
Truman voudrait bien mordre à pleines dents dans la vie, mais il a peur. Peur de sortir de son petit environnement douillet, peur de décrocher de la routine. Peur de manquer d’argent. Peur de perdre sa place. Il reste là, dans sa bulle, à se regarder vieillir. A s’écouter rêver à voix haute devant le miroir de la salle de bain, matin après matin après matin.
A s’imaginer astronaute, marin, aventurier.
Et puis, un jour, par hasard, une légère fissure déchire sa bulle. Il se rend compte qu’il existe peut-être une alternative, qu’il y a tout un monde de l’autre côté de la toile, un monde où le soleil brille de mille feux, où les jours se suivent sans jamais se ressembler. Alors il saute sur un bateau et il part, il quitte tout, il lève l’ancre et balance toute sa vie par-dessus bord.
Mais voilà, ses «amis», ses «confrères de travail», sa «mère», bref, tous ceux qui habitaient son monde, ne l’entendent pas ainsi. Leur vie tourne autour de Truman. S’il se sauve, ils perdent leur emploi. S’il découvre la supercherie, leur personnage s’envolera en poussière, la machine cessera de tourner et ils ne seront plus que des comédiens sans rôle, des silhouettes, des fantômes.
Alors ils partent à sa recherche, afin de le ramener dans sa bulle, dans sa cage.

Truman, c’est vous, c’est moi, c’est nous tous. Nous croyons vivre, mais en fait, nous ne sommes que des personnages d’un vaste téléroman, que nous écrivons jour après jour. Nous nous sommes construit une bulle géante, que nous n’osons jamais quitter. Nous nous sommes écrit un rôle sur mesure, dont nous ne sortons pas. Nous sommes, chacun d’entre nous, notre propre geôlier. A la fois auteur, acteur, metteur en scène, producteur et spectateur. Nous nous regardons vivre.
Afin de justifier notre lâcheté, nous nous sommes inventé des fausses obligations: l’hypothèque, la carrière, la famille, les études. Pour passer le temps, nous nous intéressons à toutes sortes de choses futiles: la finale de Seinfeld, la vie des vedettes riches et célèbres, les derniers scandales politiques, Windows 98.
Notre vie ressemble à une boisson à saveur de pomme. Ça sent le jus de pomme, ça goûte le jus de pomme, ça a la même couleur que du jus de pomme, mais ce n’est pas du jus de pomme. C’est un succédané, une copie.
Le message de Truman Show est simple: GET A LIFE. Tout de suite, maintenant, pendant qu’il en est encore temps.
Prenez vos jambes à votre cou, tournez le dos à tout ce cirque, et ne revenez jamais.
Cessez de vous en tenir au texte que vous vous êtes écrit. Improvisez.
Foutez le feu au décor, et déchirez votre bulle.