«Je croyais qu’Oz était une Grande Tête, dit Dorothy.
– Je croyais qu’Oz était une bête terrible, dit l’homme de fer.
– Je croyais qu’Oz était une boule de feu, s’exclama le lion.
– Non, non, vous avez tort, dit le petit homme frêle. Je ne suis pas un grand sorcier. Je ne suis qu’un homme ordinaire. J’ai commis une erreur en vous laissant entrer dans ma chambre secrète. Habituellement, je ne rencontre même pas mes sujets, afin qu’ils me craignent…»
– Frank Lyman Baum, The Wonderful Wizard of Oz
Je n’ai pas beaucoup de certitudes, dans la vie. Je doute de tout, même de moi. Mais s’il y a une chose dont je sois sûr, c’est qu’on ne devrait jamais voir ses parents baiser.
Les parents sont des figures d’autorité. Lorsqu’on est petit, c’est vers eux qu’on se tourne pour savoir ce qui est bien et ce qui est mal. Ce sont eux qui nous imposent des limites, qui nous disent jusqu’où on peut ou ne peut pas aller. Ils construisent des garde-fous qui nous empêchent de tomber dans le vide.
Or, qui dit autorité, dit mystère. Je n’ai jamais compris les parents qui dévoilent les moindres recoins de leur vie privée à leur progéniture, qui lui confient leurs secrets, leurs erreurs. «Ah oui, quand j’étais jeune, je prenais des brosses et je sautais dans mon char», «Je volais des bouteilles de vin dans les dépanneurs», «Je copiais pendant les examens», «J’étais un éjaculateur précoce, mais j’ai suivi une thérapie de cri primal dans une commune nudiste au New Jersey, et ça a fini par se régler»…
Un kid n’a pas besoin de savoir tout ça. Plus un enfant connaît la vie intime de son père et de sa mère, plus il les considère comme des amis, non comme des figures d’autorité. Or, les enfants ont des amis à la pelle. Ils n’ont pas besoin d’en avoir deux de plus. Ce dont ils ont besoin, ce sont des parents. Des parents qui les encadrent, qui les guident.
Il ne suffit pas d’aimer ses enfants pour être parent – sinon, ce serait beaucoup trop facile. Il faut aussi garder ses distances envers eux, prendre du recul, accepter de rester dans l’ombre. C’est le côté plate et difficile de la job. Mais c’est aussi (enfin, selon moi) son aspect le plus important.
Il faut être comme Oz dans le célèbre conte. Caché derrière un rideau, manipulant toutes sortes de boutons en cachette, loin des yeux, près du cour.
Un petit monsieur grisonnant qui se déguise en sorcier omnipotent, afin de faire croire aux jeunes filles égarées qu’il sait où mène la route en briques jaunes. (Même si, dans le fond, il n’en a aucune idée.)
***
Auparavant, les leaders étaient cachés, distants, mystérieux. Dieux vivant sur une montagne magique dans l’Antiquité, rois détenant un pouvoir divin au XVIIe siècle. Ils n’avaient pas de corps, pas de visage.
Puis ils sont descendus de l’Olympe et, la guillotine aidant, se sont incarnés. D’idoles, ils sont devenus héros. Héros militaires (Washington, de Gaulle, Churchill), héros populaires (René Lévesque), héros littéraires (Malraux, Havel) – des hommes en chair et en os, mais qui demeuraient plus grands que nature. Des figures d’autorité que l’on regardait en contre-plongée. Plus des anges, mais encore des statues.
Puis on a commencé à les déshabiller, à découdre le rideau derrière lequel ils se cachaient. Tout d’abord, on a passé leurs actions au peigne fin, et levé le voile sur leurs erreurs de gestion. Ensuite, on est allé fouiller dans leur passé afin de mettre leur psychologie à nu.
Aujourd’hui, on rentre directement dans leur chambre à coucher, et on leur fout un doigt dans le cul pour voir s’ils ont des hémorroïdes.
Les politiciens sont tellement bas, maintenant, qu’on les regarde de haut. On débat de la longueur de leur pénis et de la consistance de leur sperme en direct, à la télé. Leurs fantasmes sexuels font rigoler les foules aux heures de grande écoute.
Ils sont tellement près de nous qu’ils ont perdu toute forme d’autorité.
Nous sommes passés d’un extrême à l’autre: d’idole intouchable à ti-caille méprisable. Non seulement a-t-on découvert le petit bonhomme qui se faisait passer pour un grand sorcier, mais on l’a foutu à poil et roulé dans la farine.
Naguère, les paysans rêvaient d’approcher le roi pour gagner sa faveur. Aujourd’hui, ce sont les politiciens qui veulent se rapprocher des citoyens pour gagner leurs votes.
Ils s’en sont tellement rapprochés, d’ailleurs, qu’ils sont tombés de leur piédestal.
***
Les enfants ne sont pas fous. Lorsque leurs parents cessent de se comporter en parents, ils leur grimpent sur la tête et leur font la vie dure. Idem pour les citoyens.
Si nous ne nous gênons pas pour baisser les culottes de nos leaders, c’est parce qu’ils n’agissent pas comme des leaders, mais comme des larves. A genoux devant le marché, à genoux devant les électeurs.
A genoux devant les firmes de sondages.