Ondes de choc

Le parc Belmont

La porno est devenue respectable.
C’est pas moi qui le dis, c’est le Time Magazine de cette semaine, page 48. Les stars du cinoche XXX sont les nouvelles coqueluches d’Hollywwod, tout le monde et son frère veulent se faire photographier à leurs côtés.

Bientôt, on pourra acheter des cassettes cochonnes au Club Price. Un sac de p’tites quiches congelées, un paquet de quarante-huit rouleaux de papier cul, et une copie du Gland Bleu pour mémé.

Le voyeurisme, naguère apanage des pervers pépères, est maintenant une activité familiale. Une famille qui fantasme est une famille unie.

Et je ne parle pas des films pornos ordinaires, style: un laitier, une bourgeoise et sa boniche, comme dans les années 70. Mais de la grosse porno crade, à la Barnum and Bailey. Des queues à trois couilles, des partouzes à quinze, des nains, des vieilles, des séances de S & M, et des transsexuels à moitié opérés.

Comme le chantait Michel Rivard: «Le monde a besoin de magie.» Surtout de magie noire. Du jamais-vu, de l’inédit, des femmes à barbe. «Franchissez ce rideau, mesdames et messieurs, et vous rencontrerez l’homme-éléphant!»

Le monde est une autoroute de campagne, et tous les automobilistes ralentissent pour voir la Plymouth qui a fait des tonneaux en prenant la sortie.

Il suffit de s’asseoir devant la télé, et de pitonner pendant quinze minutes. Des poursuites d’autos à Fox. Des hommes qui se battent avec des crocodiles à TLC. Des éjaculateurs précoces à Canal Vie. Des accidents d’avion à RDI. Des assistés sociaux qui s’engueulent à TQS. Des maires qui se font entarter au Téléjournal. Des chirurgies esthétiques ratées à Enjeux. Des femmes qui gobent des stéroïdes au Point.

Et des prostituées tatouées dans Voir.
Et ne me dites pas que vous tournez la tête lorsque la bête sort de sa cage, je ne vous crois pas. Vous êtes comme tout le monde: vous regardez. Vous ralentissez, et vous jetez un coup d’oil… lorsque vous ne prenez pas des photos.

Les cotes d’écoute sont là pour le prouver: vous adorez les freak shows.

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Pourquoi cette fascination pour l’horrible, l’étrange, l’extrême?

Parce que notre vie est de plus en plus capitonnée. On ne fume plus, on ne boit plus, on ne déconne plus. Plus moyen de ne rien dire sur qui que ce soit sans qu’un groupe, quelque part, fasse une manif. Il faut être honnête, bon parent, conjoint fidèle, amant attentionné. Faire de l’exercice, prendre soin de son alimentation, pas de gras, pas de sel, une vie intérieure équilibrée, être un citoyen responsable, donner de son temps et de son argent, sourire au bureau, travailler fort, mettre de l’argent de côté pour ses vieux jours, acheter une assurance-vie, téléphoner à ses parents une fois par semaine, être ouvert d’esprit, ne juger personne, porter un casque, attacher sa ceinture, mettre un condom, attendre quelques minutes avant de venir et ne pas s’endormir tout de suite…

Bander seulement quand il le faut, où il le faut, même si les jupes sont de plus en plus courtes et les décolletés de plus en plus plongeants.

Ne pas dire vieille, mais personne âgée. Pas personne âgée, mais membre de l’âge d’or. Pas membre de l’âge d’or, mais aînée. Pas aînée, mais doyenne.

A force de vivre dans autant de propreté, on n’a qu’une envie: prendre un gros bain de boue et se rouler dans la merde.

Pourquoi des gars comme Howard Stern sont-ils aussi populaires? Parce qu’ils nous permettent de laisser sortir la vapeur. Parce qu’ils disent tous les gros mots qu’on a envie de crier. PIPI, CACA, PET, BOULE, CUL, TWIT. Ils sont comme le Christ, ils prennent toute notre vulgarité non assumée sur leurs épaules, et meurent crucifiés sur la place publique pour que nous puissions continuer d’être blancs comme neige. Vous avez de la poussière dans le nombril? Appelez-les, ils vont l’aspirer puis la recracher sur les ondes. Plus le monde dans lequel nous vivons est propre, plus ils vomissent.

Les tenants de la rectitude politique et les Howard Stern de ce monde sont les deux orifices d’un même tuyau. La bouche, en haut, qui gobe les vitamines; et l’anus, en bas, qui recrache les toxines.

Quelle est la décennie plus plus pognée de l’Histoire? Les années 50. Bungalow, gazon frais rasé, papa a raison. Quelle est la décennie la plus sordide de l’Histoire? Les années 50. Films pornos, photos S & M, crimes crapuleux. D’un côté, Happy Days; de l’autre, James Ellroy.

Les époques les plus aseptisées accouchent des fantasmes les plus sales.

Méfions-nous des gens qui portent des soutanes et qui disent consacrer leur vie à la pureté. Bien souvent, ils finissent tués par des p’tits délinquants dans des circonstances troubles.