Ondes de choc

Pendant ce temps, au Québec…

Dans les années 60, Andy Warhol a tourné des documentaires complètement débiles. Son principe était simple: il plantait sa caméra devant un sujet (un building, un homme qui dort), et il appuyait sur la touche «on». Pas de mouvement, pas d’action, rien.

Que le même maudit plan fixe, qui durait pendant dix ou douze heures.

Ce qui était bien, avec les films de Warhol, c’est que les spectateurs pouvaient sortir en plein milieu de la projection, sauter dans un taxi, et aller manger au restaurant avec des amis.

Lorsqu’ils revenaient dans la salle, deux heures plus tard, ils reprenaient le film exactement là où ils l’avaient laissé.

Ils n’avaient rien raté, car il ne se passait strictement rien.

Eh bien, le Québec ressemble à un film d’Andy Warhol. Vous pouvez vous exiler pendant quinze ans, le jour où vous décidez de revenir, vous retrouvez exactement les mêmes choses.

Des anglos et des francos qui se chicanent devant Eaton. Des militants péquistes qui s’entredéchirent. Des analystes politiques qui écrivent des tartines de quinze feuillets sur la question référendaire. Des sondages sur une éventuelle souveraineté. Une campagne électorale sur fond de référendum. Le PLQ qui branle dans le manche. Sans oublier les traditionnels recueils de maximes de Jacques Parizeau et de Pierre Elliott Trudeau.
C’est comme si vous n’étiez jamais parti!

Le Québec est un disque rayé, un film brisé, une chanson à répondre qui ne se termine jamais.
Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est un hoquet.

Juste comme on est prêt à passer à autre chose (que ce soit la séparation, ou un enterrement en bonne et due forme du mythe séparatiste), oups! on revient en arrière, et on reprend tout depuis le début.

Pas étonnant qu’il y ait autant d’ados attardés dans la littérature et le cinéma québécois. Ça reflète parfaitement notre état d’esprit. Nous sommes comme les antihéros de Réjean Ducharme et d’André Forcier: des gamins qui ne veulent pas vieillir; des dadais idéalistes qui passent leurs journées à rêvasser. Incapables de prendre nos responsabilités, blâmant toujours les autres pour nos échecs.

Gardant toutes les portes ouvertes, au cas où…

Résultat: les conflits ne se règlent jamais. Ils demeurent toujours larvés. Le fédéral fait une crosse au provincial; le provincial monte sur ses grands chevaux et brandit la menace d’un référendum; l’option séparatiste gagne des points; les anglos paniquent; les péquistes radicaux exercent des pressions auprès du premier ministre; le premier ministre tente de ménager la chèvre et le chou, etc., etc.

Jusqu’au jour où l’on passe au vote, et qu’on se retrouve dans le même maudit cul-de-sac.
Ensuite, c’est retour à la case départ.

Ça fait trente ans que ça dure. Les mêmes maudits discours, les mêmes maudites faces, les mêmes maudits débats. Le même maudit manège qui tourne en rond sans jamais aller nulle part.

On se retrouve toujours dans le même no man’s land: ni séparé ni fédéré. A côté. Un grand ado qui fait du squeegee dans l’antichambre de l’Histoire. Refusant de signer la Constitution canadienne, mais refusant aussi de se donner un pays. Un p’tit cul qui dit non à tout; trop indépendant pour rester chez maman, mais trop insécure pour plier bagage et déménager.
Alors il glande, il niaise, il passe deux jours ici et trois jours là.

***

Il y a quelques années, la polyvalente où j’ai étudié organisait une réunion des anciens; j’y suis allé. J’y ai rencontré de vieux amis que je ne n’avais pas vus depuis des siècles. Ils avaient tous vieilli, évolué…

Sauf un, qui n’avait pas changé d’un poil. Même visage, mêmes vêtements. Toujours des tas de projets dans la tête, grattant la même guitare à douze cordes, racontant les mêmes farces plates…

A l’époque, son côté rebelle nous paraissait sympathique. C’était le dur de l’école, le poète au cour d’or. Mais quinze ans plus tard, le bonhomme était devenu carrément pathétique.

C’est ce qui est en train d’arriver au Québec. Dans les années 70, la chicane constitutionnelle nous enflammait. A la fin des années 80, elle nous faisait rire. Aujourd’hui, elle nous fait pitié.
On dirait un vieux chansonnier sourdingue, qui radote dans les tribunes libres des journaux.
Triste.