Passe-moi le poivre
Ondes de choc

Passe-moi le poivre

Selon vous, quel acte est le plus répréhensible?
Se faire tailler une pipe par une stagiaire adulte et consentante; ou fourrer la population à son insu?

Si je pose cette question, c’est qu’au sud du quarante-deuxième parallèle, Bill Clinton risque de se faire destituer pour avoir commis le premier; alors qu’au nord, Jean Chrétien rit de toutes ses dents même s’il a commis le second.

L’affaire Peppergate (voir texte à la page 8) est scandaleuse. L’arrestation brutale de manifestants par des agents de la GRC lors du Sommet de l’APEC en novembre 1997, à Vancouver, afin de faire plaisir au général Suharto, est l’une des plus flagrantes violations des droits de la personne à avoir été perpétrées au Canada. Le fait que Jean Chrétien puisse en être le grand manitou montre jusqu’à quel point notre système est pourri.

Cette sale histoire aura au moins réussi à prouver une chose: la big business et les politiciens canadiens se foutent royalement des droits de la personne.

Chaque fois que quelqu’un, quelque part, exprimait son malaise devant les voyages de Team Canada en Asie ou en Inde, le premier ministre et ses compagnons d’armes répétaient toujours la même chose:

«Mais non, voyons, ne vous inquiétez pas! Ces voyages ne servent pas qu’à exporter nos produits: ils nous permettent aussi d’exporter nos valeurs. Une fois sur place, nous nous entretenons toujours des droits de la personne avec nos hôtes. C’est un point essentiel de notre ordre du jour…»

Eh bien, aujourd’hui, on sait que tout cela est de la foutaise.

Non seulement le Canada n’exporte-t-il pas ses sacro-saintes valeurs lorsqu’il fait des affaires avec des dictateurs, mais il importe des méthodes de répression qui ont fait leurs preuves!
Non seulement Jean Chrétien est-il prêt à serrer la main de criminels notoires pour redorer le blason de son gouvernement, mais il n’hésite pas à violer les droits fondamentaux de ses propres concitoyens!

Au moins, Bill, lui, se retenait. Il disait à Monica qu’il ne voulait pas aller jusqu’au bout parce qu’il ne la connaissait pas suffisamment. Alors que Johnny, lui, n’a aucun principe. Une promesse de contrat et hop! il s’agenouille et ouvre la bouche.

Le gouvernement Chrétien devrait acheter une petite annonce dans les journaux:
«Pays démocratique, classé numéro un par l’ONU, disponible sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Se déplace. Aucun tabou, service illimité. Payez cash. Demandez Lloyd Axworthy ou Paul Martin. Votre satisfaction est notre raison d’être.»

Jean-Luc Godard a raison: la prostitution est le principal carburant de nos sociétés.
Ce qui est ironique, c’est de voir nos leaders donner des leçons de morale à la population, alors qu’ils sont prêts à cracher sur les valeurs les plus fondamentales de notre société pour quelques millions de dollars de plus.

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L’affaire Peppergate intéresse beaucoup les journalistes canadiens-anglais. The Globe and Mail, par exemple, suit cette histoire de très, très près. Mardi dernier, le quotidien de Toronto y consacrait quatre textes. On a l’impression de lire The Washington Post pendant le scandale du Watergate.

Mais ici, l’affaire fait moins de remous. Trop canadian, pas assez branchée sur le Québec.
Une bande de bachi-bouzouks dirigée par un bouffon brandit des pancartes devant Eaton, et la province au grand complet est en état de choc. Mais le premier ministre du Canada arrête illégalement une bande d’étudiants à Vancouver, et on hausse les épaules.
N’allez surtout pas dire que le Québec est nombriliste, ah ça, non, môssieur!!!

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Il y a deux gauches au Canada.

La gauche canadienne-anglaise, hypermusclée, qui lutte contre les inégalités, les dangers de la mondialisation, les violations des droits de la personne – et qui a mis sur pied d’importants réseaux électroniques pour échanger des idées et faire avancer ses causes…
Et la gauche québécoise, qui met tous ses oufs dans le panier de la souveraineté.

Le jour où la gauche québécoise va enjamber la barrière linguistique pour se joindre à la gauche canadienne, le pays va trembler.

Malheureusement, ce n’est pas pour demain. Ici, on se fout des affaires courantes.
On attend encore le Grand Jour.