Ondes de choc

Les intouchables

Il y a quelques semaines, pendant le gala des Gémeaux, Lise Payette (qui a reçu un Prix spécial pour l’ensemble de sa carrière) s’est lancée dans une charge à fond de train contre le nivellement par le bas qui, selon elle, est en train de gangréner la télé québécoise.

L’auteure de Marilyn et des Machos a tiré sur tout ce qui bouge: les directeurs de programmation, les annonceurs, les bonzes de la télé publique, les diffuseurs, les producteurs, le CRTC… Tous ces gens-là, a-t-elle dit, sont responsables de la baisse de qualité de notre télévision.
Mais un groupe a échappé aux remontrances de l’auteure: les téléspectateurs.

Pourtant…
Si les directeurs de programmation incluent des émissions bébêtes dans leur grille-horaire, c’est parce qu’elles sont regardées. Si des vendeurs de médicaments miracles ou de fondue suisse se battent pour acheter des spots publicitaires de trente secondes dans des émissions «de piètre qualité», c’est parce que des centaines de milliers (pour ne pas dire des millions) de téléspectateurs sont au rendez-vous. Si des scripteurs ou des réalisateurs décident volontairement de mettre du Kool-Aid dans leur vin, c’est parce qu’ils savent que ça va automatiquement tripler leurs cotes d’écoute.

Qu’à cela ne tienne, jamais dans son discours Lise Payette n’attaqua les téléspectateurs.
Vous me direz que c’est normal, qu’une scénariste qui gagne sa vie en écrivant des téléromans grand public ne peut pas mordre la main qui la nourrit – vous avez raison. Mais n’empêche, ce silence poli (ou calculateur, c’est selon) était embarrassant.

On ne peut pas parler de la télé sans parler des téléspectateurs.

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Prenez la politique, par exemple.

Aux quatre coins de la Voie lactée, on se demande pourquoi Pierre Bourque mène dans les sondages.
On se dit que c’est peut-être à cause de la piètre performance de ses adversaires, de la relance économique actuelle, du côté populiste de Bourque…

Mais jamais n’a-t-on parlé de l’électorat. Pourtant, il s’agit d’un élément essentiel de l’équation.
Si un con mène dans les sondages, c’est parce que la majorité des gens lui fait confiance.
Or, si la majorité des gens fait confiance à un con, c’est parce que la majorité des gens sont des cons.

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Michel Tremblay a écrit deux pamphlets contre la télé: le scénario de Parlez-nous d’amour, le sulfureux (et sous-estimé) long métrage de Jean-Claude Lord; et la pièce En circuit fermé. Ces deux ouvres attaquent avec virulence la bêtise qui règne dans le monde de la télé. Mais elles visent deux cibles bien différentes.
Dans Parlez-nous d’amour, qui se passe dans les coulisses d’un show de matantes (style Boubou dans le métro ou Toasts et Café), Tremblay attaque le public. Si les vedettes de la télé font des grimaces, dit l’auteur des Belles-Sours, c’est parce que les téléspectateurs aiment les grimaces. Mais dans la pièce En circuit fermé, qu’il a écrite vingt ans plus tard, Tremblay corrige son tir et s’en prend aux dirigeants de la télé: si les vedettes du petit écran font des grimaces, avance-t-il, c’est parce que leurs patrons ne leur permettent pas de faire autre chose.

Dans la première ouvre, ce sont ceux qui regardent la télé qui sont dépeints comme des cons. Et dans la seconde, ce sont ceux qui la dirigent.

Où est la vérité?

Probablement là où elle se situe toujours: entre les deux.

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Dans notre système, l’offre et la demande sont intimement liées. Si aucun resto ne vend de la tarte à la boue, c’est parce que les gens n’en veulent pas. Le jour où les consommateurs se mettront à manger de la boue, McDonald’s vendra des McMud.

Malheureusement, en 1998, on ne peut plus critiquer les mangeux de boue en public – que les faiseux de boue.

Autant, avant, on ne pouvait attaquer impunément les décideurs, autant, aujourd’hui, c’est la population qui est intouchable. On ne peut pas remettre son jugement en question sans passer pour un facho ou un snob.

Un con mène dans les sondages? Bof, c’est la faute au système, à la politique, aux sondeurs – à n’importe qui sauf à nous.

La population est toujours souveraine, l’électeur a toujours raison, le client ne se trompe jamais.
Et Céline Dion est une grande chanteuse parce qu’elle a vendu quinze trillions de gonzilliards d’albums à travers le monde.

Dites donc, si Joe-Bloe est aussi génial, pourquoi ne vote-t-on pas pour lui?