Dimanche soir, le Québec a joui. Comme un cochon.
Vous ne l’avez pas senti? On aurait dit un tremblement de terre. L’onde de choc a traversé le territoire québécois de part en part, jusqu’à ce que la province au grand complet pousse un énorme cri de joie.
Et ce qui est fantastique, c’est qu’on n’a même pas eu besoin de se toucher pour frissonner de la sorte. Tout ce qu’il nous a fallu, c’est de voir Céline Dion en jaquette imiter Môman.
Un dixième de seconde plus tard, on ouvrait les portes du paradis.
Faut dire que l’ADISQ avait mis le paquet. Le sketch nous permettait de goûter aux trois mamelles de la culture populaire québécoise en même temps: Ceuline, La P’tite Vie et l’imitation. La vache sacrée du disque, le succès monstre de la télé, et le top du top en humour. On n’avait jamais imaginé partouze aussi dégoulinante, même dans nos fantasmes les plus lubriques.
Quatre jours plus tard, le Québec en parle encore. «T’as vu Céline? Était bonne, hein? Était-tu drôle, non mais! Hé, qu’est folle!»
Qu’importe si la championne du Billboard regarde autant La P’tite Vie que Jacques Godbout, Piment Fort. Qu’importe si son imitation sentait l’opération de marketing à plein nez.
Dimanche soir, comme l’ont bêlé tous les chroniqueurs showbiz, Ceuline a prouvé qu’elle était «l’une des nôtres». Elle a touché son frontibus, son nétibus, son mentonbus, et elle a bu, bu, bu…
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Chaque peuple a ses rituels. Des rituels destinés à souligner le passage à l’âge adulte, la mort, la naissance, la destruction de l’ennemi.
Au Québec, notre rituel le plus important, c’est le rituel «Agou Agou».
Chaque fois qu’un membre de la tribu quitte le clan pour plusieurs mois, un frisson d’inquiétude parcourt le groupe: et si l’enfant prodigue ne revenait pas? Et s’il nous laissait là, dans nos huttes?
Pire: et s’il nous revenait, mais changé? Ça menacerait la cohésion du groupe! Ça prouverait qu’il y a de la vie hors de notre territoire de chasse, qu’on peut se forger une identité hors du clan – bref, que notre façon de faire n’en est qu’une parmi tant d’autres!
Afin de nous sécuriser, nous avons donc créé un rituel identitaire destiné à mesurer le degré d’appartenance de nos membres fugueurs.
Chaque fois que l’un d’eux remet les pieds sur sa terre natale, les membres de la tribu se rassemblent en demi-cercle, et crient: «Agou Agou Agou!»
Si le fugueur répond: «Agou, Agougou!», il est acclamé comme l’un des nôtres, et nous festoyons jusqu’à plus soif. Mais s’il répond autre chose (comme «Bonjour, comment ça va?», par exemple), il est automatiquement exclu du clan et tourné en ridicule.
Dimanche soir, Céline a comblé toutes nos attentes. Elle s’est accroupie sur la scène du Centre Molson, et elle a crié de sa belle et forte voix: «AGOU, AGOUGOUOUOUOUOUOUOUOU!»
Et tout le Québec est tombé sur le cul.
«Oh, ma Céline, je l’savais donc, que je l’savais donc que t’étais restée la même! Agou, ma p’tite! Agou Agou!»
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Quand Jacques Villeneuve a remporté le championnat du monde de formule un, l’an dernier, on a paqueté le Forum à pleine capacité, on l’a sacré au beau milieu, on lui a tendu un micro, et on a crié à pleins poumons: «Agou Agou Agou!»
Pendant quelques secondes, Villeneuve s’est visiblement demandé quoi répondre. Il nous saluait de la main, il nous lançait des sourires gênés et embarrassés, mais il ne disait rien.
On aurait pu entendre une mouche voler.
Puis soudainement, du find fond de sa mémoire, une photo jaunie est remontée à la surface, et notre héros s’est souvenu: «Ah, oui, le rituel!» Il s’est donc approché du micro, et, du bout des lèvres, en prenant bien soin de cacher son accent européen, il a murmuré: «Euh… Agou, agou, merci beaucoup.»
Ce n’était pas tout à fait ça, mais bon, ça faisait pareil, ça nous frottait au bon endroit.
Le Québec a eu un méga-orgasme, et tout le monde est allé fumer une cigarette pendant que Villeneuve reprenait l’avion pour Monaco.
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Cette semaine, Corey Hart et Julie Masse ont fait le tour des talk-shows. Bras dessus, bras dessous, les yeux dans les yeux, minouche minouche – c’était beau de voir ça. On a même eu droit aux délices ultimes: un anglo qui dit «Agou Agougou» pour être accepté dans le clan. Non seulement Julie ne nous a pas quittés, mais elle nous a même amené un nouveau membre!
Il ne lui reste qu’à passer le rituel de la jaquette, et on achète tous ses disques…