Ondes de choc

Simple comme bonjour

«Les grands discours de principe se traduisent rarement ou jamais par des réalisations.»

– Lucien Bouchard, 25 mars 1994

«Bonjour, je m’appelle Eugène Tartempion, je suis journaliste étranger et je prépare un reportage sur le Québec. Je viens de débarquer chez vous, et j’avoue que je ne comprends pas trop ce qui se passe. La situation me paraît extrêmement compliquée. Pouvez-vous éclairer ma lanterne?

– Oui, oui, pas de problème. Vous verrez, c’est tout simple.

– Merci infiniment… Si la tendance se maintient, donc, tout semble indiquer que vous allez reporter les péquistes au pouvoir lundi prochain…

– En effet, le plus récent sondage accorde 44 % des intentions de vote au PQ, contre 39 % pour le Parti libéral, et 11 % pour l’ADQ.

– Vous voulez donc un autre référendum sur la séparation?

– Absolument pas. Les trois quarts des Québécois ne veulent pas entendre parler d’un autre référendum.

– Mais c’est pourtant ce que promet Lucien Bouchard…

– Peut-être, mais il ne le fera pas. Il dit ça seulement pour séduire la ligne dure de son parti.

– Vous savez ça, vous?

– Ben, tout le monde sait ça! C’est pour ça que nous allons voter pour lui!

– Qu’est-ce que vous voulez que Bouchard fasse, une fois réélu?

– Selon le sondage Angus-Reed, réalisé pour Radio-Canada, nous voulons qu’il tente d’améliorer le fédéralisme.

– Et vous croyez qu’il le fera?

– Du tout. En fait, 64 % des Québécois croient qu’il tentera plutôt de rassembler les conditions gagnantes pour organiser un troisième référendum.

– Attendez, je ne vous suis plus… Vous savez qu’il ne fera pas ce que vous voulez qu’il fasse, mais vous allez tout de même voter pour lui?

– Ben sûr, Lulu, c’est le meilleur! 57 % des électeurs québécois croient que Lucien Bouchard possède les qualités nécessaires pour diriger le Québec.

– … (air confus)

– Écoutez, monsieur Tartempion, ce n’est pas si difficile à comprendre… Si vous voulez améliorer le fédéralisme, au Canada, vous devez envoyer un séparatiste à l’Assemblée nationale, pas un politicien qui veut négocier!

– Ah oui?

– Bien tiens! La séparation, ici, c’est une arme pour forcer le Canada à plier, rien d’autre! Comme l’a déjà écrit Lucien Bouchard: «Qui commence à négocier à genoux risque fort de terminer à plat ventre.»

– Mais à force de crier au loup, plus personne ne va vous croire, non?

– D’où l’importance de bien se préparer! Il faut montrer que nous sommes prêts à passer à l’action. C’est pour ça qu’en 1995 on a écrit le préambule de notre future Constitution, que nous avons présenté lors d’un gros spectacle rassemblant les forces vives du Québec.

– Vous avez rédigé une Constitution avant même d’enclencher le processus menant à l’indépendance?

– Seulement le préambule!

– Mais… Mais c’est un peu bizarre, non?

– Du tout! Comme ma mère disait: Il faut toujours avoir un sac de couchage dans son sous-sol, même si on déteste le camping. Comme ça, advenant un feu, on ne se retrouve pas le cul sur la paille! Ha ha ha ha!

– Bon… Et si les négociations avec le reste du Canada achoppaient de nouveau, vous seriez prêts à partir?

– Presque. Il nous reste encore quelques trucs à mettre dans notre sac à dos.

– Comme?

– Un passeport canadien.

– Attendez: vous voulez garder le passeport canadien?

– On serait fous de s’en départir! C’est comme une Gold Card, c’t’affaire-là, c’est reconnu dans le monde entier! On veut aussi s’assurer qu’on pourra utiliser la même monnaie.

– LA MEME MONNAIE?

– Yep. Canadian dollar, my friend. C’est comme la soupe Habitant: y a un peu de nous autres, là-dedans.

– Si vous le dites… Et c’est tout?

– Il faut aussi s’entendre sur un projet de société.

– Un quoi?!?

– Un projet de société. C’est bien beau, faire l’indépendance, mais qu’est-ce que ça veut dire pour les handicapés et les homosexuels? Y aura-t-il plus de gais à la télé; construira-t-on plus de rampes d’accès devant les cinémas? Faut penser à tout ça, monsieur Tartempion: on ne saute pas dans le vide sans parachute! Une fois que toutes ces questions seront résolues, et que les conditions gagnantes seront rassemblées, on ne perdra pas de temps, je vous en passe un papier: on va mettre nos culottes, pis on va sacrer notre camp!

– Autre question: qu’est-ce que le Bloc québécois?

– Le Bloc, c’est un regroupement de séparatistes qui font la promotion de l’indépendance, à Ottawa.

– …

– Oui, monsieur! Et je vous dis qu’on leur chauffe les oreilles, aux Anglais!

– Les membres du Bloc sont donc des alliés du PQ?

– Officiellement, oui. Mais ils ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. Le PQ et le Bloc, c’est comme vous, les Français, et nous, les Québécois. Quand c’est le temps de défendre la francophonie sur la scène internationale, nous sommes côte à côte et copain-copain. Mais quand vient le temps de décrocher le contrat de postsynchro du dernier Spielberg, vous nous sacrez un coup de pied dans les jambes en disant que vous êtes plus francophones que nous. Vous comprenez?

– Pas très bien, non… Ce sont les seuls groupes séparatistes?

– Il y aussi le Parti de la démocratie socialiste et le Rassemblement pour une alternative politique. Mais ce sont des séparatistes de gauche.

– Des séparatistes de gauche??

– Oui. Michel Chartrand, célèbre séparatiste de gauche, se présente d’ailleurs comme candidat indépendant dans le comté de Lucien Bouchard, le chef des séparatistes de droite.

– Mais ça ne risque pas de séparer le vote des séparatistes?

– Hé! on se sépare ou on ne se sépare pas! (Rires.) Avant, il y avait aussi des séparatistes écolos, mais ils n’existent plus… Bon, vous comprenez mieux la situation, maintenant?

– Bof… Une dernière question: Jean Charest, vous le détestez tant que ça?

– Non, non. On le trouve juste trop canadian. Il a besoin de passer quatre ans dans l’opposition pour mieux connaître le Québec.

– Et dans quatre ans?

– Ben, on va voter pour lui! On ne peut pas réélire Bouchard en 2002, il va penser qu’on veut vraiment un référendum!»