«Impeach the Media.» (Destituez les médias)
C’était la couverture du New York Magazine de la semaine dernière. Un sondage effectué par la maison Global Strategies pour la célèbre publication révélait que le fossé qui sépare les bonzes de l’information des simples citoyens ne cesse de se creuser aux États-Unis. Et l’affaire Lewinsky n’a pas arrangé les choses, bien au contraire.
50 % des répondants affirment que la couverture de l’affaire Lewinsky était irresponsable.
79 % croient que les médias distordent les faits.
46 % font moins confiance aux médias qu’ils ne le faisaient il y a cinq ans.
48 % pensent que les médias exercent une influence négative.
71 % croient que les médias respectables donnent dans le sensationnalisme gratuit, etc., etc.
Le phénomène n’est pas exclusivement américain. En fait, on pourrait dire que la tendance est mondiale. Le 10 novembre dernier, par exemple, l’excellent magazine français Les Inrockuptibles consacrait sa une au «contre journalisme». Sorte de journalisme guérilla à la Noam Chomsky, ce mouvement, représenté entre autres par le réalisateur Pierre Carles (Pas vu pas pris), pourfend la pseudo-objectivité des journalistes et dévoile les magouilles liant les politiciens et le quatrième pouvoir.
Quant au Québec, nous ne sommes pas en reste. Suffit de voir le résultat des élections municipales et provinciales; le frisson de plaisir qui a parcouru le Québec lorsque Michel Chartrand a apostrophé Bernard Derome, et le succès remporté par une émission comme La fin du monde est à sept heures, pour se rendre compte qu’ici comme ailleurs, le peuple boude de plus en plus les analystes professionnels et les maisons de sondage.
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Qu’est-ce qui ne va pas; qu’est-ce qui ne va plus?
Une chose, en tout cas, est sûre: les gens ne croient plus en l’impartialité de la presse. Nous ne sommes pas en 1968, mais en 1998. Comme disent les Anglais: l’homme de la rue est de plus en plus media litterate. Les gens ne s’endimanchent plus lorsqu’ils s’assoient devant leur télé, ils ne se prosternent plus lorsqu’ils voient une caméra: ils savent comment fonctionnent les médias. Ils ne sont pas dupes. Ils savent que telle journaliste a couché avec tel politicien; que tel animateur est un valet de la grosse finance; que tel quotidien est à la solde des fédéralistes; que tel journaliste est un proche du premier ministre…
Il y a trente ans, on pouvait dire à l’homme de la rue que les médias n’avaient que la Vérité à cour; mais plus aujourd’hui. Les gens ont vu des tonnes de documentaires et de dramatiques se déroulant dans le monde des médias; la machine n’a plus de secrets pour eux. Ils savent ce qu’est un spin doctor; comment les informations «coulent»; pourquoi les politiciens parlent à tel journaliste, mais pas à tel autre; à quel point les reporters sont redevables envers leurs sources, et comment ils abusent du off the record…
Et surtout, surtout – ils savent que les entreprises de presse sont d’abord et avant tout… des entreprises.
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Cela dit, les médias ne sont pas si opaques qu’on le dit. En effet, qui a creusé la tombe des médias, sinon les médias eux-mêmes? Le «contre journalisme», c’est d’abord et avant tout un phénomène médiatique (les unes du New York Magazine et des Inrock en sont la preuve); et si le mouvement anti-média prend de l’ampleur, c’est grâce aux médias!
En fait, on pourrait dire que les médias ont été victimes de leur propre narcissisme. Le trip «miroir» (les médias qui parlent des médias) a commencé au début des années 80. Au commencement, les médias mettaient surtout l’accent sur leur côté glamour: les vedettes, les premières, les reporters qui risquent leur vie dans les régions chaudes… Mais, peu à peu, ils se sont mis à exhiber leurs mauvais côtés: la corruption, la manipulation, le fric, la course à l’image-choc… Et en faisant ça, ils se sont tiré dans le pied.
Vous connaissez sûrement l’histoire du scorpion et de la grenouille. Un scorpion demande à une grenouille de l’aider à traverser une rivière. «Ne t’en fais pas, je ne te piquerai pas, car si je te piquais, tu mourrais et je coulerais avec toi», lui dit-il. La grenouille accepte. Mais, au beau milieu de la rivière, le scorpion pique la grenouille. «Pourquoi as-tu fait ça? lui demande-t-elle, avant de couler.
– Parce que c’est dans ma nature», lui répondle scorpion.
Pourquoi les médias acceptent-ils de se discréditer aux yeux du public en se montrant sous un mauvais jour? Parce que c’est dans leur nature.
Ils aiment filmer la merde. Même si c’est la leur.