Ondes de choc

Profession: danger

Vous ne le saviez peut-être pas, mais semaine après semaine, je risque ma vie en écrivant cette chronique.

Je vous le jure: c’est René-Daniel Dubois qui l’a dit, mardi soir au Point.
Nous vivons dans une société fasciste. On ne peut plus critiquer ouvertement le projet souverainiste.

Chaque fois que j’utilise mon Power PC pour critiquer les séparatistes (ou leurs alliés idéologiques, les fédéralistes, qui ont tout intérêt à jeter de l’huile sur le feu), je mets donc ma vie en jeu.
C’est pas beau, ça?

Quand j’ai entendu RDD lancer cette phrase lapidaire à la télé, j’étais tout fier. J’ai téléphoné à ma mère, et je lui ai dit: «Maman, ton fils est un héros!» Moi qui ai toujours eu peur de manquer de courage…

J’ai aussi pris contact avec les gens d’Amnistie internationale pour qu’ils fassent circuler une pétition en ma faveur. Genre: «Pendant que les étudiants chinois rigolent au fin fond de leur taule en bouffant un Number 2 for 2; pendant que les Algériens se la coulent douce en courant les méchouis; pendant que les Haïtiens se font bronzer à longueur d’année; ce pauvre chroniqueur québécois frôle la mort chaque fois qu’il ouvre la bouche. Aidez-le à pratiquer son métier en toute sécurité. Écrivez au premier ministre du Québec, manifestez devant les Maisons du Québec à l’étranger, portez son cas devant l’ONU.»

J’ai aussi demandé à Hélène Pedneault, à Sylvie Tremblay et à Marie-Claire Séguin d’organiser un spectacle-bénéfice destiné à amasser des dons pour assurer ma sécurité. Elles ont dit qu’elles allaient s’en charger – tout de suite après leurs spectacles contre les femmes battues, la privatisation de l’eau, la recherche sur le sida et les jeunes sans-abri.

Il ne reste à mon patron qu’à remplacer la fenêtre de mon bureau par une grosse vitre pare-balles, et je pourrai enfin dormir tranquille…

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Blague à part, cette enflure verbale commence à me taper sérieusement sur les nerfs.

Quand Stéphan Bureau a demandé à RDD s’il n’y allait pas trop fort en utilisant le mot «fascisme», l’auteur a dit se référer à la définition du dictionnaire.

Or, j’ai Le Petit Robert devant moi.

Dans la définition du mot «fascisme», il y a le mot «totalitarisme». Dans le mot «totalitarisme», il y a «totalitaire». Et la définition de «totalitaire», c’est: «Régime à parti unique, n’admettant aucune opposition organisée, dans lequel le pouvoir tend à confisquer la totalité des activités de la société qu’il domine.»

Voulez-vous bien me dire pourquoi un homme d’idées et de mots prend autant plaisir à distordre les mots et les idées?
Tenez, j’ai trois définitions à proposer à RDD:
«Sophisme: argument, raisonnement faux malgré une apparence de vérité, et généralement fait avec mauvaise foi.» / «Sophiste: personne qui use d’arguments, de raisonnements spécieux.» / «Spécieux: qui n’a qu’une belle apparence, qui est sans réalité, sans valeur.»

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Le pire, c’est que RDD n’est pas seul. En fait, ils sont légion, dans notre coin de pays, à crier au loup chaque fois qu’ils croisent un chien. Le Québec est en train de devenir la capitale mondiale de l’hyperbole (et c’est un euphémisme – que dis-je? une litote). Nous utilisons plus souvent le mot «nazi» que Simon Wiesenthal!

RDD et ses confrères me font penser à Réjean Tremblay. Vous avez vu le dernier épisode de Réseaux, qui passait quelques minutes avant la sortie de notre Salman Rushdie national? Délirant. Un escadron de musulmans extrémistes envahissait un plateau de télé et prenait l’animatrice, les cameramen et les invités en otages.

Je regardais ça, et je me disais: «Dieu, que c’est gros. Dieu, que c’est exagéré.» Si Réseaux était une série américaine se déroulant à New York, ces clichés ne m’auraient pas autant agacé. Mais c’est une série québécoise qui se déroule ici, à Montréal. Or, désolé, mais à Montréal, les extrémistes musulmans ne tirent pas sur les foules.

Il manque de pot, Réjean Tremblay. Il veut écrire de grosses histoires, mais il vit dans un pays où il n’y a que de petites histoires.

Idem pour RDD: il souhaiterait vivre dans un pays à feu et à sang, où les intellectuels s’engueulent, déchirent leur chemise en direct à la télé, et se font jeter en prison.

Or, il vit au Québec: Royaume de la pensée molle et de la tolérance bonhomme.

Tiens, ils devraient travailler ensemble ces deux-là.

Ils pourraient écrire une série racontant les aventures d’un dramaturge québécois torturé par des agents du service de contre-espionnage de Beauharnois…